Le théâtre de Jean Genet est un théâtre métaphysique
Publié le 19/11/2024
Extrait du document
«
Dans les années d’après-guerre règnent dans le paysage littéraire français deux doctrines
théâtrales principales : le théâtre de l’absurde et le théâtre populaire de Jean Vilar.
Tous les
dramaturges semblent appartenir à l’un ou l’autre courant.
Pourtant l’un d’eux en demeure
extérieur : Jean Genet.
Jean Genet écrit dès 1947 la pièce des Bonnes, puis Haute Surveillance
en 1949 puis reprend son écriture théâtrale dans les années 50 avec Le Balcon, Les Nègres et
Les Paravents.
Avec ces pièces, Jean Genet livre également des textes constituant à la fois des
indications de mise en scène et des manifestes littéraires.
De plus, il écrit sous forme de lettre,
La lettre à Jean-Jacques Pauvert de 1954 et Les Lettres à Roger Blin de 1962 des textes
théoriques.
Ces deux types de textes nous permettent de constater que Genet développe une
pensée singulière du théâtre qui rompt avec la pensée du théâtre de son époque.
C’est pourquoi
nous pouvons nous demander quelle est la pensée que Jean Genet développe dans les œuvres
théâtrales elles-mêmes ainsi que dans ses divers écrits théoriques.
Dans cette perspective, nous
montrerons dans un premier temps que le théâtre de Jean Genet est avant tout un théâtre qui se
définit en négatif par rapport au théâtre occidental de son époque.
Dans un second temps nous
verrons que le théâtre de Jean Genet est un théâtre métaphysique qui se distingue radicalement
du réel afin de le révéler.
Enfin, nous verrons que Jean Genet pense un théâtre de l’impossible,
jusqu’à faire du théâtre un absolu.
*
Tout d’abord le théâtre que pense Genet est un théâtre qui se dresse contre le théâtre
occidental de son époque et il se définit en négatif par rapport à ce dernier.
En effet, Genet
montre dans un premier temps une haine de ce théâtre et l’exprime avec une grande violence
dans la Lettre à Jean-Jacques Pauvert en 1954.
Il refuse le théâtre tel qu’on le pratique à son
époque et dit à son égard qu’il « ne l’aime pas ».
On devine cette critique dès 1947 dans
Comment Jouer les Bonnes, texte dans lequel il montre un certain mépris envers les
comédiennes, par exemple lorsqu’il pose cette question « mais quelle actrice le sait davantage,
même lorsqu’elle se torche le cul ? » ou bien qu’il demande au futur metteur en scène de ne pas
faire monter les actrices sur scène en posant « leur con sur la table ».
On devine également une
certaine appréhension, comme si Genet avait peur que les actrices, et les acteurs incarnent leur
rôle avec vulgarité, ou exhibitionnisme.
Ce sont en effet deux défauts que Genet relève dans La
Lettre à Jean Jacques Pauvert.
Il pointe du doigt, je cite, « la bêtise hautaine des comédiens et
des gens de théâtre », et il critique leur « trivialité » qui, lorsqu’elle s’efface laisse place à
« l’inculture et à la niaiserie ».
Cette critique très violente cache les déceptions récentes que
Genet a essuyées, avec tout d’abord Louis Jouvet en 1947 pour Les Bonnes qui lui imposa des
retouches, puis avec les acteurs de Haute Surveillance en 1949 qui refusèrent de se raser le
crâne, et avec la reprise des Bonnes en 1954 avec Tania Balachova, déception donc très récente,
qui peut expliquer l’amertume des propos de la lettre à Pauvert.
Nous voyons donc que Genet
éprouve une haine envers le théâtre, ou plutôt envers les gens de théâtre qui le déçoivent en, je
cite, « luttant pour la première page des journaux » au lieu de s’adonner à un théâtre qui aurait
des airs de « cérémonies ».
Genet se positionne donc contre un certain théâtre avant de définir
le nouveau théâtre qu’il veut voir advenir, il définit ce que son nouveau théâtre n’est pas, et tout
d’abord il n’est pas politique.
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En effet, lorsque Genet écrit Les Bonnes, la littérature semble avoir un devoir
d’ « engagement ».
Le théâtre, plus précisément, est marqué par la figure de Brecht qui soutient
la thèse selon laquelle le théâtre doit être politique et doit montrer sur scène, au public, la
possibilité de la révolution.
Mais Jean Genet refuse qu’on fasse de son théâtre une simple
parabole politique et refuse donc la lecture politique des Bonnes en écrivant dans Comment
Jouer les Bonnes que, je cite, « Une chose doit être écrite : il ne s’agit pas d’un plaidoyer sur le
sort des domestiques.
Je suppose qu’il existe un syndicat des gens de maison : cela ne nous
regarde pas ».
Genet refuse donc catégoriquement la lecture politique de son œuvre, qui serait
trop facile.
Cette lecture éclipserait toute lecture métaphysique.
Néanmoins on ne peut pas faire
abstraction du fait qu’il s’agit évidemment d’une réflexion autour du maître et de l’esclave et
Jean Bernard Moraly dans Maître fou, Genet théoricien du théâtre affirme que « négliger la
lecture sociale pour ne privilégier que la cérémonie (...) serait tronquer la pièce ».
Dans Les
Paravents la question du politique se pose de manière plus frontale puisque lors de la première
représentation en 1966 au théâtre de l’Odéon s’engage une véritable « bataille des Paravents »
car la pièce semble faire directement référence à la très récente guerre d’Algérie.
Là encore
Genet refuse toute lecture politique, tout d’abord, dans le texte lui-même, dans le commentaire
du treizième tableau, page 193, en indiquant que « ni les soldats, ni le Lieutenant, ni le Général
n’apparaissent dans cette pièce afin de faire revivre un instant de la capitulation de la France en
Algérie » puis en affirmant en 1962 dans une lettre à Roger Blin que « le vrai sujet ne peut pas
être la guerre d’Algérie ».
Ainsi Genet semble-t-il refuser toute potentielle lecture politique de
sa pièce.
Pourtant il confessera dans l’Ennemi déclaré en 1970 que « Les paravents, ne fut
qu’une longue méditation sur la guerre d’Algérie ».
Malgré les embuches que posent sans arrêt
Jean Genet, nous pouvons quand même conclure que le premier élément de la définition en
négatif que propose Jean Genet de son théâtre est celui de ne pas être un théâtre politique, ou
nous pourrions plutôt dire, de ne pas un théâtre réductible à une simple lecture politique.
Enfin, le second élément de cette définition en négatif est celui du refus catégorique de
la quotidienneté.
Genet l’écrit dans Comment Jouer les Bonnes, je cite « Sans pouvoir dire au
juste ce qu’est le théâtre, je sais ce que je lui refuse d’être : la description de gestes quotidiens
vus de l’extérieur ».
Ce refus s’observe dès les indications de mise en scène que livre Genet
dans Comment Jouer Les Bonnes qui concernent en premier lieu les gestes.
En effet, il
commence par indiquer que les gestes des actrices doivent être, je cite « suspendus ou cassés »,
tout comme leur voix.
Les gestes des actrices se distinguent donc des gestes quotidiens et ne
font pas que redoubler la parole.
Le refus du geste-pléonasme est exprimé par Genet dans les
Lettres à Roger Blin dans lesquelles il explique comment le geste doit advenir dans le jeu de
l’acteur ; pour Genet le geste n’accompagne pas d’emblée la voix, car alors il ne serait qu’un
redoublement de la parole et imiterait un geste quotidien mais il doit plutôt venir lorsque la voix
seule a trouvé au préalable le ton de la réplique, afin qu’il dise quelque chose de nouveau sur
ce qui est en train de se jouer dans la parole, il explique en effet, je cite « Il vaut mieux, quand
la voix a trouvé ses vraies modulations, découvrir les gestes qui seront plus familièrement
accordés à la voix mais qui peut-être s’opposeront à elle (...) de façon que le tout forme une
suite d’accords non-convenus (...) délivrant l’acteur de la tentation du quotidien ».
De même
les acteurs, en plus de leurs gestes et de leur voix doivent apparaître sur scène d’une manière
qui les distingue visuellement du quotidien, donc du réel.
En effet, Genet indique dans Comment
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jouer les Bonnes que Claire et Solange peuvent, je cite « déformer monstrueusement les robes
de Madame, en ajoutant de fausses traînes, de faux jabots ».
Les actrices apparaissent donc de
manière monstrueuse, c’est-à-dire à moitié humaines, sur scène, donc aux yeux du public.
Le
public est donc confronté à un espace théâtral qui se démarque de l’espace du quotidien.
Dans
Les Paravents les acteurs apparaissent véritablement comme des monstres, créatures à moitié
humaines puisque Genet indique dans Comment jouer les Paravents, je cite « qu’ils seront si
possible masqués », qu’il serait bien je cite « de prévoir une grande variétés de nez postiches »
et qu’ « aucun visage ne devra garder cette beauté conventionnelle ».
Les acteurs des Paravents
doivent donc être couverts d’apparat, maquillés ou masqués, avec de faux nez et de faux
mentons.
Ils peuvent même être défigurés, c’est-à-dire apparaître sans figure, comme le
personnage de Leïla, qui est si laide qu’elle apparaît sur scène avec une cagoule, donc sans
visage.....
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