La poésie peut-elle quelque chose contre la laideur du monde ?
Publié le 21/04/2022
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«
LA POÉSIE PEUT-ELLE QUELQUE CHOSE CONTRE LA LAIDEUR DU MONDE ?
« Est-ce que c'est la rime qui compte, les vers bien troussés, ou est-ce que ce
sont les mots, tels qu'on les dit, des phrases simples qui expriment la réalité ? À moins
que ce soit tout simplement les bruits, ceux de la rue, de la vie quotidienne, le
vacarme des usines et les hurlements des combats.
» Cette citation de Xavier
Mauméjean (Wayne Barrow) suggère que la poésie existe aussi grâce à la réalité
terrestre, souvent dure et crue, et aux choses du quotidien.
Il faudrait donc se
demander ; la poésie peut-elle quelque chose contre la laideur du monde ? À première
vue, oui, complètement : la poésie a le pouvoir de changer le regard que nous portons
sur le monde, en décrivant autrement ce que nous connaissons, nos actions, nos
voyages, les objets et personnes qui nous entourent - et même nous, l’homme.
À un
autre niveau, la poésie permet des transfigurations, des transformations, des
changements valorisants du monde par ses mots et ses images, par ses vers et ses
rimes - un iceberg gagne certainement en majesté, en grandeur et en éclat si il est
comparé à un « auguste Bouddha ».
Pourtant, il faut discuter ces évidences.
Ainsi, la
poésie n’agit pas toujours contre la laideur du monde, et même parfois, célèbre cette
dernière.
Des choses horribles, hideuses, affreuses, disgracieuses sont alors mises au
centre du poème, et leur laideur est célébrée.
De même, la poésie a un impact, certes
important, mais très limité en termes de nombre de personnes atteintes et touchées Tout le monde ne lit pas de poésie.
C’est même moins que cela : très rares sont les
personnes lisant couramment (et de leur plein gré!) de la poésie.
En revanche, dire
que la poésie, malgré tout, représente la beauté aux yeux de tous ses lecteurs - aussi
peu nombreux soient-ils - est faux ; la beauté elle même n’est pas universelle.
Un
grand nombre d’œuvres d’art ayant fait scandale en leur temps sont aujourd’hui
considérés comme des chefs-d’œuvre.
Enfin, la poésie n’a parfois pas de rapport avec
la beauté ou la laideur, et est donc complètement à l’extérieur du sujet ; la poésie
engagée, par exemple, n’a pour objectif que de défendre sa cause.
Il s’agira donc de
se poser la question suivante : Que nous dit la poésie de la laideur du monde ? Afin
de répondre de la manière la plus complète possible à cette question, nous
examinerons les arguments qui décrivent la poésie comme un art contrant la laideur
du monde ; puis nous nous pencherons sur les arguments opposant que la poésie n’a
en aucun cas la pouvoir de changer la laideur du monde, qui restera tel qu’il est avec
ou sans poésie, avant de nous voir que la poésie est parfois sans rapport avec la
beauté ou la laideur du monde, qui ne sont elles-mêmes pas universelles.
L’art poétique peut agir contre la laideur du monde : elle change notre
regard sur notre environnement, et permet des transfigurations de la réalité.
La poésie change notre regard sur la laideur du monde.
Elle permet de
montrer la beauté cachée des objets, des voyages, des personnes.
Elle modifie notre
vision du monde, nous le fait voir autrement et lui donne un nouveau visage.
Elle
permet d’idéaliser les laideurs terrestres.
Ainsi, comme Oscar Wilde reformulait une
idée ancienne et philosophique de la Grèce Antique, « La beauté est dans les yeux de
celui qui regarde », en anglais : « Beauty lies in the eye of the beholder ».
Dans Le
parti pris des choses (1942), de Francis Ponge, des objets, des aliments du quotidien
sont poétisés : le pain, le cageot, l’huître… sont les éléments principaux de poèmes
éponymes.
Dans « L’huître », l’huître est décrite comme « un monde opiniâtrement
clos », dans laquelle on peut trouver « tout un monde », et même « un firmament (à
proprement parler) », et des « cieux ».
De la même manière, dans « Le Pain », on
voit dans les aspérités de la croûte de l’objet éponyme des montagnes exotiques : « les
Alpes, le Taurus et la cordillère des Andes ».
Même le pain qui rassit est objet de
poétisation : « lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent ».
Ces
descriptions d’objets d’ordinaire anodins changent notre regard sur le monde, car le
pain ou l’huître ne sont plus seulement des aliments mais aussi des objets de
contemplation.
Dans le premier recueil de poèmes de Baudelaire, les Fleurs du Mal,
un recueil en vers, le poème « Une charogne » fait le portrait d’un cadavre en
décomposition.
Pourtant, le cadavre en question est plus valorisé que dévalorisé, et
même peut-être est-il idéalisé ; c’est l’esthétique de la charogne.
Le sentiment est
similaire à celui ressenti dans « le Dormeur du Val » de Rimbaud, même si dans
« Une charogne », la guerre n’est aucunement représentée.
La femme dont le cadavre
se décompose est même érotisée par une comparaison ; « Les jambes en l’air, comme
une femme lubrique ».
Un autre poème de ce recueil, « L’horloge », décrit cette
dernière comme plus qu’un simple objet.
Elle devient un « dieu sinistre, effrayant,
impassible ».
Ensuite, dans le morceau « Il Neige », de Thibaud Vanhooland, issu de
l’album Les Bruits de la ville, l’auteur nous donne une image romantisée de la ville
et… de ses poubelles.
« Même tes poubelles / Qu'on ignorait la veille / Sont devenues
des visages / Qui dégueulent des nuages ».
Ce morceau raconte l’histoire d’une ville
qui revit dans les regards des passants sous la neige - cela rappelle le Spleen de Paris,
le second recueil de Baudelaire et le seul en prose, avec sa dimension citadine.
Ainsi,
les poubelles, des objets qui ne sont pas reconnus pour leur beauté, sont devenues,
aux yeux des passantes citées plus haut, remarquables : on ne les ignore plus comme
« la veille ».
Ces paroles peuvent changer le regard du lecteur sur une ville sous la
neige et, donc, ses poubelles.
La poésie permet des transfigurations de la réalité.
Une transfiguration se
définit, selon le dictionnaire Larousse, ainsi : Changer l'aspect de quelque chose, sa
nature, en lui donnant un caractère éclatant, magnifique.
En effet, la poésie permet
une transfiguration de la réalité, et par extension, de la laideur du monde.
Le poète
crée alors une nouvelle réalité.
La poésie devient un « juste mensonge » sur le monde,
car par ces transfigurations, elle a le pouvoir de camoufler la laideur, elle la change.
Dans le poème « Marine », d’Arthur Rimbaud appartenant aux Illuminations, un
recueil de poésie en prose publié en 1886, le poète transfigure certains objets afin de
leur donner une image plus reluisante.
Ainsi, les chars sont « d’argent et de cuivre »
et les proues « d’acier et d’argent ».
Enfin, il existe des « tourbillons de lumière ».
On
voit bien ici que l’aspect et la nature des éléments sont transfigurés, mais cela est fait
dans le but de transformer la laideur du monde, ou du moins son absence d’éclat, en
quelque chose de brillant, de sublime.
Des chars en argent n’existent pas ; mais ici,.
»
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