Explication linéaire N°7 : le pays enchanté , « Jour gris », Les Vrilles de la vigne , Colette
Publié le 21/04/2024
Extrait du document
«
Explication linéaire N°7 : le pays enchanté , « Jour gris », Les
Vrilles de la vigne , Colette
Eléments d’introduction :
Dans Les Vrilles de la vigne, « Jour gris » se situe après « Nuit blanche »
et avant « Le Dernier
Feu ».
Les trois textes sont dédiés à « M...
», amante de Colette.
Lors d’un séjour en bord de mer avec elle, l’auteure se sent d’humeur
morose et se réfugie dans l’évocation de son pays natal, dont elle offre
une longue description mêlant rêve et sensualité.
C’est aussi l’occasion
pour l’écrivaine d’aborder subtilement son rapport à l’écriture.
Problématique :
Comment la narratrice parvient-elle, en célébrant son pays natal auprès
de l’être aimé, à donner une définition de son travail d’écrivain ?
(Ou encore : à livrer une réflexion sur son travail d’écrivain...)
Mouvements du texte :
-Premier mouvement, de « J’appartiens à un pays » à « écoute bien, car...
» : une description à la fois sensuelle et onirique du pays natal de
l’auteure.
-Deuxième mouvement, de « Comme te voilà pâle » à « pas même les
chèvres » : le retour à la réalité.
___________________________________________________________
________
Premier mouvement
« J’appartiens à un pays que j’ai quitté.
»
- Emploi de la première personne.
Inscription du texte dans
l’autobiographie mais aussi dans le registre lyrique (la nostalgie du pays
natal est d’ailleurs un topos poétique, comme dans
« Heureux qui, comme Ulysse » de Du Bellay).
- Opposition entre présent et passé composé (« J’appartiens » / « j’ai
quitté »).
Malgré tout le temps passé, le lien de Colette avec les terres de
sa naissance est toujours vivant.
« Tu ne peux empêcher qu’à cette heure s’y épanouisse au soleil toute
une chevelure
embaumée de forêts.
»
- Passage à la deuxième personne.
Le texte est dédié à « M...
», dédicace
à peine masquée à
Mathilde de Morny, alias Missy, qui partage la vie de Colette depuis 1905.
Dans les éditions
ultérieures, la dédicace disparaîtra, de manière, peut-être, à donner à ce «
tu » une dimension universelle.
L’emploi de la deuxième personne crée
une atmosphère d’intimité, de confidence, dans laquelle le lecteur peut se
sentir plongé.
- On relève une négation (formée seulement avec l’adverbe « ne ») : « Tu
ne peux empêcher ».
Aucun lien n’est plus fort que celui qui unit Colette à
son pays natal, à la nature.
La
puissance de cette dernière est affirmée.
- Complément circonstanciel de temps + présent ( « qu’à cette heure s’y
épanouisse »).
Il y a
simultanéité entre l’énonciation et le phénomène qui est décrit.
Colette est
comme restée
connectée en permanence au pays de son enfance.
- Métaphore par complémentation du nom : « toute une chevelure
embaumée de forêts ».
Les forêts sont comparées à une partie du corps
féminin, les cheveux.
Le nom « chevelure »
possède une connotation amoureuse, voire érotique, et l’on peut faire le
rapprochement avec un célèbre poème de Baudelaire (« La chevelure »).
- D’ailleurs, l’adjectif mélioratif « embaumée », en convoquant le sens de
l’odorat, met en
avant un rapport sensuel à la nature.
- Adjectif « toute une chevelure » (adjectif car ici « tout » varie et on
pourrait le remplacer par « une chevelure entière »).
Exprime
l’abondance, l’immensité des forêts.
Complément circonstanciel de lieu « au soleil ».
Indique que la scène se
déroule
probablement en été ; connote une idée de chaleur qui ne fait
qu’accentuer la sensualité du
paysage décrit.
« Rien ne peut empêcher qu’à cette heure l’herbe
profonde y noie le pied des arbres, d’un vert délicieux et apaisant dont
mon âme a soif...
»
- Reprise du début de la phrase précédente, mais le pronom personnel «
tu » est remplacé par le pronom indéfini « rien ».
La nature est toutepuissante, elle est un sanctuaire qu’aucun évènement ne peut troubler.
Elle obéit à son propre rythme.
- « l’herbe profonde y noie le pied des arbres » ; adjectif + verbe qui crée
une métaphore de
l’herbe comme une eau vive.
La fraîcheur suggérée ici contraste avec la
chaleur évoquée
dans la phrase précédente.
- Ainsi, la métaphore « le pied des arbres » est revitalisée ; elle renvoie
au corps, à la peau, au toucher.
Elle renforce encore la dimension
sensuelle de l’extrait.
- « Un vert délicieux et apaisant » ; nom de couleur + adjectifs
mélioratifs.
Le nom de couleur
convoque le sens de la vue.
« Délicieux » crée un effet de synesthésie,
comme si la narratrice
pouvait goûter cette couleur.
« Apaisant » montre tout le pouvoir de la
nature sur Colette.
Pouvoir guérisseur, bienfaisant.
- « Dont mon âme a soif » (proposition subordonnée relative adjective
dont l’antécédent est
« un vert »).
Exprime la nostalgie du pays natal.
Loin de lui, Colette se
sent comme
desséchée.
L’emploi du nom « mon âme » prouve que le lien de l’auteure
avec les terres qui
l’ont vue grandir n’est pas seulement charnel : il est également spirituel,
ancré au plus secret
de son être.
- Les points de suspension imitent ici un soupir en fin de phrase,
traduisant le manque ressenti par Colette.
« Viens, toi qui l’ignores, viens que je te dise tout bas : »
- Répétition du verbe à l’impératif + proposition subordonnée conjonctive
complément
circonstanciel de but (on peut remplacer la conjonction « que » par « pour
que »).
Colette
invite le destinataire de son discours (ici l’être aimé, mais aussi, peut-être,
le lecteur) à
s’approcher, comme pour une confidence.
Ce climat d’intimité et de secret
est renforcé par
l’emploi de la locution adverbiale « tout bas ».
- Le pronom personnel à la forme tonique « toi » interpelle directement le
destinataire.
La
proposition relative « qui l’ignores » le place dans la position de l’élève ou
du disciple.
Colette endosse donc également ici le rôle d’un maître qui
connaît les arcanes du monde, de l’initiée qui partage une connaissance
cachée.
- Le double point sert à introduire la confidence, comme si Colette
chuchotait dans l’oreille de l’être aimé.
« Le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! »
- Le sens de l’odorat est à nouveau convoqué.
Le choix du mot « parfum »
plutôt que, par
exemple, « odeur » ajoute une nouvelle fois de la sensualité et presque de
l’érotisme à la
description du pays natal.
Montre que le rapport à la nature est un plaisir
intense des sens,
du corps.
- « mon pays » ; le pronom possessif réaffirme le lien très fort entre
l’auteure et la campagne
où elle a grandi.
- Le verbe est conjugué au présent de vérité générale.
C’est un fait
toujours vrai, toujours
d’actualité.
Les sensations du passé se prolongent dans le présent.
L’écriture poétique de
Colette a le pouvoir de figer le plus volatil, le plus éphémère (ici un
parfum).
De garder
toujours vive les impressions de l’enfance.
- Les noms « fraise » et « rose » appartiennent au champs lexical de
l’amour (dans la Rome
antique, la fraise est le fruit de Venus, déesse de l’amour ; la rose est la
fleur de l’amour par
excellence).
Le parfum décrit par Colette possède un intense pouvoir de
séduction ; elle est
tombée amoureuse de son pays de la même manière que l’on tombe
amoureux d’une
personne.
- Le point d’exclamation en fin de phrase met l’accent sur la joie,
l’émotion qui traverse
l’auteur en évoquant cette sensation.
« Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs, qu’un fruit mûrit
on ne sait où, - làbas, ici, tout près, - un fruit insaisissable qu’on aspire en ouvrant les
narines.
»
- Deuxième personne + verbe au conditionnel ; Colette intègre l’être aimé
au paysage, la voix
de l’auteur le guide à la découverte de ce dernier.
De plus, cela produit un
effet sur le lecteur, qui se sent transporté lui-aussi dans ce pays, immergé
dans ces forêts.
Tout l’effort de Colette est, grâce à son écriture, de
rendre véritablement présent le paysage aux sens du
lecteur.
- Proposition subordonnée conjonctive complément circonstanciel de
temps « quand les taillis de ronces y sont en fleurs ».
Situe toujours la
scène en été, le pic de floraison des ronces ayant lieu fin juin, mi-juillet.
- Symbolique de la ronce (à la fois symbole de l’amour et plante
protectrice dans la tradition ; voir par exemple « La Belle au bois dormant
»).
Colette entraîne l’être aimé dans son univers intime, dans son refuge.
C’est un paysage à la fois réel et imaginaire, sensible et symbolique.
- Proposition subordonnée complétive « qu’un fruit mûrit on ne sait où » +
incise entre tirets
(les tirets jouent ici le rôle de parenthèses) avec trois adverbes de lieu «
là-bas, ici, tout
près ».
Le rythme ternaire crée un effet d’incantation, de parole
envoûtante, presque
hypnotique.
Pour Colette, l’écriture est une magie puissante capable....
»
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