Aide en Philo

Discours du vieux Tahitien

Publié le 22/02/2025

Extrait du document

« Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, Chapitre II, Les Adieux du vieillard Alors que les Blancs quittent l’île de Tahiti, un vieillard tahitien prend la parole pour dire aux siens de ne pas s’attrister de ce départ.

Il s’adresse ensuite au chef de l’expédition, Bougainville. Puis s’adressant à Bougainville, il ajouta : « Et toi, chef des brigands qui t’obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive.

Nous sommes innocents, nous sommes heureux, et tu ne peux que nuire à notre bonheur.

Nous suivons le pur instinct de la nature, et tu as tenté d’effacer de nos âmes son caractère.

Ici tout est à tous, et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien.

Nos filles et nos femmes nous sont communes, tu as partagé ce privilège avec nous, et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues.

Elles sont devenues folles dans tes bras, tu es devenu féroce entre les leurs ; elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles et elles nous sont revenues teintes de votre sang.

Nous sommes libres, et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage.

Tu n’es ni un dieu, ni un démon, qui es-tu donc pour faire des esclaves ? Orou, toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l’as dit à moi-même, ce qu’ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous.

Ce pays est à toi ! et pourquoi ? Parce que tu y as mis le pied ! Si un Otaïtien débarquait un jour sur vos côtes, et qu’il gravât sur une de vos pierres ou sur l’écorce d’un de vos arbres : Ce pays est aux habitants de Tahiti, qu’en penserais-tu ? Tu es le plus fort, et qu’est-ce que cela fait ? Lorsqu’on t’a enlevé une de tes misérables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t’es récrié, tu t’es vengé, et dans le même instant tu as projeté au fond de ton cœur le vol de toute une contrée ! Tu n’es pas esclave : tu souffrirais la mort plutôt que de l’être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que l’Otaïtien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t’emparer comme de la brute, l’Otaïtien est ton frère ; vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi ? Tu es venu, nous sommes-nous jetés sur ta personne ? Avons-nous pillé ton vaisseau ? T’avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? T’avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi.

Laisse-nous nos mœurs ; elles sont plus sages et honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons plus troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières.

Tout ce qui nous est nécessaire et bon nous le possédons.

» Le Supplément au voyage de Bougainville s’inspire du voyage réel de l’explorateur français Bougainville en Océanie et de son récit Voyage autour du monde, dans lequel est évoquée la colère du vieux Tahitien.

Diderot, l’un des plus célèbres philosophes des Lumières, décide de mettre en avant le point de vue des tahitiens afin de dénoncer les vices de la société européenne et donc de la colonisation (accroche avec remise dans le contexte), à travers le discours d’un vieux tahitien qui parle au nom de sa communauté. Ce long discours se situe au début du deuxième chapitre du Supplément, et est tenu par un homme respecté par sa sagesse (présentation du texte).

Nous allons nous demander quels sont les enjeux du discours du vieux tahitien.

(Problématique) Ainsi, nous verrons comment la critique violente de la civilisation européenne, offre par contraste une vision utopique de la vie Tahitienne, ceci grâce à une stratégie argumentative mise en place par Diderot.

(Annonce du plan) Dans un premier temps, nous montrerons que le discours du vieux Tahitien correspond à une vive critique de la colonisation et de la civilisation européenne.

(Axe de lecture 1) Tout d’abord, dans son discours le vieux tahitien critique vivement la colonisation de Tahiti qu’il dénonce telle qu’elle est réellement : un vol qui se fait par la force (argument 1).

On observe le champ lexical du pillage (exemple 1) : « chef des brigands », « égorger », « le vol de toute une contrée », « pillé ».

A ce sujet notons la périphrase (exemple 2) dépréciative qualifiant Bougainville et à travers lui les Européens : « chef des brigands » (l.1).

Il utilise un autre champ lexical qui est celui de la cruauté et de la violence (exemple 3), pour souligner l’attitude condamnable des européens (interprétation) avec des verbes comme « se haïr » et « asservir », mais aussi des adjectifs ou des noms (« fureurs », « féroce », « égorgés », « teintes de votre sang », « jetés », « pillé »).

On observe une propagation de la violence, qui s’accroît comme le montre la gradation.

En effet, la violence apparait avec la métaphore (exemple 4) « allumer en elles des fureurs inconnues », à l’origine de la montée de la violence (« folle », « féroce », « se haïr ») pour se terminer dans le sang (« vous vous êtes égorgés », « teintes de votre sang »).

Clairement, le sage tahitien critique la violence de l’entreprise coloniale qui pervertit l’équilibre naturel des Tahitiens (interprétation). Ensuite, nous constatons que le vol du sol n’est qu’un préalable des Européens qui cherchent finalement à réduire les tahitiens en esclavage (argument 2) comme le montre le champ lexical associé (exemple 1) : « t’obéissent », « esclavage », « esclaves », « nous asservir », « celui dont tu veux t’emparer comme de la brute ».

Notons l’antithèse entre liberté et esclavage mise en évidence tout au long du discours des adieux du vieillard à travers des jeux d’opposition (exemple 2) (« nous sommes libres » / « et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage » ; « ce pays est à nous » / « ce pays est à toi ! » ; « tu n’es pas esclave : tu souffrirais la mort plutôt que de l’être » / « tu veux nous asservir ».

Diderot remet ainsi en cause le bien-fondé de la colonisation et nous présente une image des européens extrêmement brutale et sanguinaire qui entraine la privation des libertés. Enfin, l’injustice et l’immoralité dont font preuve les européens s’expliquent par l’intrusion de la notion de possession (argument 3) : « tu nous a prêché je ne sais quelle distinction entre le tien et le mien », mis en valeur par des formules lapidaires et simples ainsi que la mise en italique (exemple 1).

L’idée de propriété est au cœur de la civilisation européenne qui s’applique aussi bien à l’immatériel et aux terres (« Ce pays est à nous ») qu’aux êtres humains comme évoqué précédemment. Diderot nous montre que ce rapport de possession entraine l’injustice, la jalousie et donc la violence (interprétation).

Le corps des femmes devient le symbole de cet acte de propriété et crée une compétition violente entre les hommes : « vous vous êtes égorgés pour elles » (exemple 2). L’auteur s’oppose ainsi à la civilisation européenne.

Cette dernière s’impose par la force pour obtenir un vol des terres mais aussi l’asservissement du peuple.

Ces actes sont les fruits d’une société violente, immorale, injuste et irraisonnée (conclusion de partie) Cette vision négative de la civilisation européenne contraste avec la représentation utopique de la vie sauvage.

(Phrase de transition pour annoncer la partie 2) Au contraire de ce que nous avons évoqué précédemment, nous allons montrer comment la vie des Tahitiens apparaît idyllique et est présentée dans ce texte comme une philosophie de la simplicité. Cette société idéale est basée sur des valeurs cardinales que sont la liberté, l’égalité et la fraternité, mais aussi le partage et la tolérance.

(Axe de lecture 2) En premier lieu, derrière la critique de la civilisation européenne transparait l’éloge de la vie sauvage, de la simplicité et de l’innocence des Tahitiens (argument 1).

Diderot.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles