Commentaire composé la tirade de Mathilde
Publié le 15/04/2024
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«
Objet d'étude: Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
Séquence Il : Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde (1991)
Parcours : « crise personnelle, crise familiale »
Séance ...
— E.L 9 : Bernard-Marie Koltès, Le Retour au désert (1988), Acte IV,
scène 14,
La tirade de Mathilde
MATHILDE : (au public)
[...]
La vraie tare de nos vies, ce sont les enfants; ils se conçoivent sans
demander l'avis de personne, et, après, ils sont là, ils vous emmerdent toute la
vie, ils attendent tranquillement de jouir du bonheur auquel on a travaillé toute
notre vie et dont ils voudraient bien que l'on n'ait pas le temps de jouir.
Il
faudrait supprimer l'héritage : c'est cela qui pourrit les petites villes de province.
Il faudrait changer le système de reproduction tout entier : les femmes devraient
accoucher de cailloux : un caillou ne gêne personne, on le recueille délicatement,
on le pose dans un coin du jardin, on l'oublie.
Les cailloux devraient accoucher
des arbres, l'arbre accoucherait d'un oiseau, l'oiseau d'un étang; des étangs
sortiraient les loups, et les louves accoucheraient et allaiteraient des bébés
humains.
Je n'étais pas faite pour être une femme.
J'aurais été le frère d'Adrien,
on se taperait sur l'épaule, on ferait des virées dans les bars et des parties de
bras de fer, on se raconterait des histoires salaces la nuit, et de temps en temps
on s'éclaterait les couilles à coups de poing dans la gueule.
Mais je n'étais pas
faite pour être un homme non plus; encore moins, peut-être.
Ils sont trop cons.
Fatima a raison.
Sauf qu'elle n'a pas vraiment raison.
Les hommes entre eux
savent être des copains, quand ils s'aiment bien ils s'aiment bien, ils ne se tirent
pas dans les pattes; d'ailleurs, c'est parce qu'ils sont cons qu'ils ne se tirent pas
dans les pattes, ils n'y pensent pas, il leur manque un ou deux étages par
rapport à nous.
Parce que les femmes, lorsqu'elles sont amies, elles se tirent
gaiement dans les pattes; elles s'aiment et, parce qu'elles s'aiment, tout le mal
qu'elles peuvent vous faire, elles vous le font.
C'est à cause des étages
supplémentaires dans leurs têtes.
Le théâtre intellectuel des années 1980 est un théâtre traversé tant par le
théâtre de l'absurde qui, à l'instar du Nouveau Roman, interroge, transgresse et
dépasse les règles établies par le théâtre classique en ayant une profonde
réflexion sur le jeu, l'espace, et la parole théâtrale; que par des éléments du
théâtre tragique antique comme chez Jean-Luc Lagarce.
Cette période est
traversée par des bouleversements ou des répercussions aux bouleversements
politiques comme la décolonisation, mais aussi par l'émergence de nouvelles
épidémies meurtrières telles que le SIDA.
C'est un théâtre qui peut rejeter l'idée
du politique et qui paradoxalement est profondément politique dans sa vision du
monde nihiliste, folle, et individualiste.
Benard-Marie Koltès peut être considéré
comme un ovni dans ce paysage théâtral de la fin du XX® siècle.
Bien que publié
aux éditions de Minuit dans la même collection qu'un des plus fameux
dramaturges de l'absurde, Samuel Beckett, Koltès ne se revendique d'aucun
mouvement.
Ses œuvres portent en elles des thèmes récurrents tels que le désir,
la dépendance et l'inégalité des rapports de force dans La solitude d'un champ de
coton (1987) ou encore les visions différentes du monde du fait de la couleur de
peau ou du genre dans Combat de nègre et de chien (1979).
Les personnages
Koltésiens sont bavards, ils inondent la pièce de parole, feignent d'expliquer, de
faire avancer l'action, mais ils mentent, se leurrent, digressent et trompent.
Dans
Retour au désert, pièce en cinq actes, l'histoire jouée se déroule dans les années
soixante.
Mathilde part de l'Algérie en guerre et revient, cette fois-ci avec deux
enfants, dans la maison de famille dont elle a hérité et qu'elle a quittée quinze
ans auparavant.
Elle est accueillie par son frère Adrien qui l'accuse de vouloir
réclamer l'héritage, et de bouleverser sa vie calme de bourgeois de province.
Ce
retour donne lieu à des tensions et heurts verbaux intenses entre le frère et la
sœur.
A la scène 14 de l'acte IV, Mathilde est seule dans sa chambre en pleine
nuit et se lance dans un monologue à destination du public qui commence par : «
Je ne parle jamais le soir, pour la bonne raison que le soir est menteur [...] le
calme des maisons est traitre et dissimule la violence des esprits ».
C'est
exactement cela que l'extrait étudié exprime : les élucubrations d'une femme
dans la nuit, la violence et la radicalité d'une pensée offusquée et offusquant aux
tonalités polémiques et comiques à la fois.
Ainsi, nous nous demanderons en
quoi ce monologue de Mathilde dénonce et reconstruit les fondations sociétales
injustes de son temps.
Nous analyserons ce texte en deux mouvements: dans un
premier temps, nous verrons la filiation comme problème universel (I.
1 à 11),
puis dans un second temps nous étudierons la dénonciation des comportements
archétypaux des humains et la supériorité de la femme sur l'homme (I.
11 à 23).
Le premier élément à analyser avant-même le contenu de la tirade de
Mathilde est l'unique didascalie : « au public ».
La première transgression opérée
par Mathilde est celle de passer outre le quatrième mur, cet espace invisible qui
sépare le public du personnage.
Mathilde est peut-être moins dans un monologue
ou un aparté que dans un discours argumentatif dont le récepteur est le public.
Dans la première partie du texte, Mathilde développe un discours
provocateur et polémique non dénué d'humour à l'encontre des enfants et du
système de reproduction humain.
Tout d'abord, l'extrait commence par une
longue phrase complexe avec un usage de la parataxe.
En effet, l'absence quasi
totale de conjonction de coordination met en place une accumulation qui critique
un même sujet: « Les enfants », sujet qui revient de manière anaphorique avec
le pronom personnel « ils » à cinq reprises de la ligne 1 à l.
4.
La première
proposition est conjuguée au présent de vérité générale et est introduite par un
présentatif: « ce sont les enfants », donnant à son assertion une valeur de
problème universel.
Mathilde annonce son opinion avec un lexique violent et
insultant: « la vraie tare ».
On observe l'article défini et l'adjectif intensif « vraie
» qui appuient la certitude des propos de Mathilde créant une expression
hyperbolique - qui au-delà de la tonalité polémique annonce un comique de
mots, mais aussi de situation du fait de l'exagération.
Le complément du nom
tare: « de nos vies » permet d'identifier les victimes des enfants, c'est-à-dire les
adultes.
Mathilde avec le déterminant possessif « nos » inclut le public dans son
discours.
En outre, on observe rapidement qu'il y a une opposition entre les « ils
» et « vous ».
Les enfants sont peints par Mathilde comme des parasites grâce
aux verbes pronominaux : « Ils se conçoivent », et au complément circonstanciel
de manière : « sans demander l'avis », mais aussi par la position COD des
adultes dans : « ils vous emmerdent ».
Les termes insultants et les expressions
hyperboliques comme « toute la vie », « toute notre vie », « vraie tare de nos
vies » insistent sur l'incapacité à se débarrasser de ces êtres qui vident les
adultes du « bonheur » et du plaisir comme on peut le comprendre par la
présence à deux reprises du substantif « jouir ».
Le conditionnel : « ils
voudraient bien » traduit la valeur du souhait tyrannique de ces êtres qui n'ont
de désir que l'absence de joie d'autrui, comme on peut le voir dans la proposition
complétive: « que l'on n'ait pas le temps de jouir » avec la présence de la
négation totale niant le verbe « avoir », l'adulte vit dans le dénuement à cause
des enfants.
Après le constat qu'elle établit, Mathilde offre au spectateur des
pistes de solutions pour changer ce système tyrannique.
On observe un
parallélisme de construction (1.5 à 1.7) de phrases juxtaposées par le signe de
ponctuation deux-points qui introduit le constat de la nécessité de repenser le
monde.
En effet, on remarque à deux reprises la structure impersonnelle au
conditionnel exprimant le conseil : « Il faudrait supprimer » (1.5), « Il faudrait....
»
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