Arthur Rimbaud : “À la musique”
Publié le 19/06/2024
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Arthur Rimbaud incarne comme aucun autre l’idée de rébellion contre
l’ordre établi.
Aussi rejette-t-il fermement le conflit Franco-Prussien qu’il
sent naître au début de l’année 1870 ainsi que la bourgeoisie de sa ville,
qu’il déteste car elle ne voit pas l’arrivée du danger.
Cette scène d’apparence plutôt banale qu’il raconte dans “À la musique”, un
concert un jeudi soir sur la place publique de Charleville, cristallise en fait
sa critique d’une bourgeoisie cupide et satisfaite de sa médiocrité et d’une
musique militaire qui commence à résonner un peu trop fort à son goût
Le premier mouvement comprend les six premières strophes et peint le
tableau d’une bourgeoisie médiocre profitant d’un orchestre militaire à
Charleville.
Le deuxième mouvement, dans les trois dernières strophes,
revient au poète, à l’amour et à la sensualité.
Strophe 1
Le début du poème se veut très descriptif.
Après la mention du lieu “Place
de la Gare, à Charleville”, les premiers mots du premier quatrain décrivent
une place parfaitement entretenue : “sur la place taillée en mesquines
pelouses” ; “Square où tout est correct”.
Mais passé l’aspect purement descriptif, on constate que le vocabulaire
utilisé est bel et bien appréciatif, avec une valeur péjorative.
Aussi l’adjectif
“mesquines” revient-il à dire l’avarice du traitement du paysage, le peu de
place laissé à la nature.
Aussi, le “Square” est intéressant de par son sens en anglais (carré).
Dès la
description de la place, le poète insiste donc sur le rigorisme et l’esprit
étriqué de son aménagement.
Cette étroitesse d’esprit, celle qui veut que
tout soit correct (“tout est correct”), c’est la bourgeoisie.
Dès le troisième vers, le nombre des bourgeois présents est exagéré par
l’hyperbole “Tous les bourgeois”.
Ces individus sont moqués par le poète :
ils sont “poussifs”, et en surpoids, car la “chaleur” les “étrangle”.
Enfin, le verbe “portent” au vers 4 est conjugué au présent, temps utilisé ici
pour sa valeur itérative.
Le poète se moque de l’unique activité à laquelle
les bourgeois de Charleville se rendent chaque semaine, tous “les jeudis
soirs” : le concert sur la place.
Enfin, l’hypallage “bêtises jalouses” (la jalousie devrait qualifier les
bourgeois, pas la bêtise) montre que ces personnages sont si stupides aux
yeux du poète qu’ils se confondent avec leur bêtise, tant elle fait partie
d’eux.
Strophe 2
Les premiers mots de la deuxième strophe introduisent l’autre instance que
critique Rimbaud dans ce poème : l’armée.
En effet, l’orchestre venu jouer
est un “orchestre militaire”.
Il “balance ses schakos” (des couvre-chefs
militaires) et fait jouer des “fifres” (instrument utilisé dans l’armée).
On remarque ici la familiarité du vocabulaire utilisé par Rimbaud : “balance
ses schakos”.
Cette familiarité trahit le peu d’estime du poète pour l’armée,
et montre aussi qu’il les considère comme vulgaires et peu éduqués.
Cependant, Rimbaud continue son portrait détaillé de la bourgeoisie
présente sur la place : “le gandin” ; “le notaire” ; puis dans les strophes
suivantes “Des rentiers” ; “Les gros bureaux” ; les “grosses dames” ; “des
clubs d’épiciers retraités”.
Le poète veut souligner le fait que toute la bourgeoisie carolopolitaine se
trouve réunie sur la place de la gare.
Mais ajoutons, si l’on regarde la manière dont est décrite cette bourgeoisie,
que son avarice est mise en avant, notamment par l’emploi du lexique de
l’économie : “notaire” ; “breloque à chiffres” ; puis dans les strophes
suivantes “rentiers” ; “réclames” ; “épiciers” ; “traités” ; “argent” ; “somme”.
Enfin, ce qui ressort de l’attitude des bourgeois, c’est l’envie d’être vus,
regardés, admirés : “aux premiers rangs, parade le gandin”.
Strophe 3
La critique s’accentue dans cette strophe : les “rentiers” sont présentés
comme d’odieux personnages qui ne savent se mettre en avant qu’en
rabaissant les autres.
En effet, ils “soulignent tous les couacs de
l’orchestre” (ils font remarquer chaque fausse note).
Les employés de bureau sont décrits uniquement par l’intermédiaire de leur
travail, comme s’il n’avait aucune valeur en dehors.
Pour cela, Rimbaud
utilise la synecdoque : “Les gros bureaux”.
De plus, dans ce vers, puis par la suite, Rimbaud se moque du surpoids de
la bourgeoisie : “gros” ; “bouffis” ; “grosses” ; puis “épatant” ; “rondeurs” ;
“bedaine”.
On peut presque lire un parallélisme entre “les gros bureaux” et “leurs
grosses dames” : Rimbaud les place tous dans la même catégorie.
Notons, toujours au sujet de la moquerie du surpoids, que les “officieux
cornacs” auxquels sont comparées certaines dames (“celles dont les
volants ont des airs de réclame”) désigne des conducteurs d’éléphants !
Enfin, en affirmant que les volants des robes des dames ont des airs de
réclame (publicité), Rimbaud souligne la vulgarité des femmes bourgeoise
qu’il observe sur la place.
Strophe 4
Dans cette strophe, Rimbaud revient rapidement sur un thème abordé au
début du poème : celui de la nature dénaturée par l’homme.
En effet, le vert,
normalement celui de l’herbe et des arbres, est maintenant celui des “bancs
verts”, la “pomme” se retrouve sur la “canne” des épiciers.
Rimbaud critique ici le manque de naturel de la bourgeoisie qui préfère
tailler en “mesquines pelouses” et peindre les bancs en vert plutôt que de
vivre en harmonie avec la nature.
Ce thème du contre nature est récurrent dans les poèmes des Cahiers de
Douai et est souvent une façon pour le poète d’affirmer que les hommes
font fausse route.
Ici, il insiste sur l’artificialité des bourgeois, leur
hypocrisie.
Les deux derniers vers du quatrain sont une moquerie de l’avarice des vieux
bourgeois.
Rimbaud appuie lourdement sur le mot “sérieusement” grâce à une diérèse
qui le découpe en quatre syllabes : sé-ri-eu-se-ment.
Cela montre le
caractère obséquieux et suffisant des conversations, ce que Rimbaud
trouve ridicule.
Enfin, la conclusion du quatrième vers est un jeu de mots qui laisse
entendre le mot “somme”, comme dans une somme d’argent, ou la somme
d’une addition.
Strophe 5
Rimbaud poursuit ici une description qui s’allonge à dessein.
On peut
penser qu’il veut mimer ici la lourdeur des personnes qu’il décrit.
On notera surtout l’allitération en -b au deuxième vers : “bourgeois” ;
“boutons” ; “bedaine” qui insiste sur le son du mot bedaine, toujours pour
moquer l’obésité de la classe bourgeoise.
Le verbe “Déborde”, rejeté au début du dernier vers par un phénomène
d’enjambement est également évocateur : est-ce la bedaine qui déborde,
comme le tabac ? Quoi qu’il en soit, le mot déborde du vers par un
phénomène d’imitation intéressant.
Le tiret permet au lecteur d’entendre une bribe de conversation : “vous
savez, c’est de la contrebande”.
Le lecteur peut être sensible au ridicule de
la situation : un bourgeois bien comme il faut, “correct” cherche à
s’encanailler en prétendant que son tabac provient de la contrebande.
Strophe 6
Pour terminer cette longue description, Rimbaud revient aux militaires, qui
s’étaient laissés oublier au profit des bourgeois.
Premièrement, il est intéressant de voir que le poète utilise un terme
familier et péjoratif pour décrire les soldats : “pioupious”.
De plus, il fait
rimer ce terme avec “voyous”, deux vers plus haut, ce qui montre
parfaitement ce qu’il pense d’eux.
Pour finir, il affirme que la musique militaire excite en quelque sorte leur
sensualité : “rendus amoureux par....
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