ARISTOTE : L'ANIMAL RATIONNEL
Publié le 03/05/2023
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ECS2-2020/21- L’ANIMAL
4) ARISTOTE : L'ANIMAL RATIONNEL
I) Le problème du dualisme : le « corps des ressuscités »
Pour marquer la distance entre l'Homme et l'Animal, il peut être séduisant de faire appel à cette
coupure ontologique qui sépare l'ordre physique et l'ordre métaphysique.
Montrer en somme que
l'Homme est séparé de l'Animalité par cette énorme béance qui sépare l'ici-bas et l'au-delà.
En étant
à cheval sur les deux royaumes, l'Homme serait ainsi apparenté aux dieux au moins par une partie
de son être : son âme immortelle.
Mais cette façon d'expliquer la différence Homme/Animal, pour populaire qu'elle soit, n'en laisse
pas moins de poser un redoutable problème.
Ce problème est celui de l'union de l'âme et du corps en
l'Homme.
En effet, considérer l'Homme comme un hybride d'Animal et de Divin (ou d'Ange), ce
n'est pas penser l'Homme dans son unité.
Car ce qui caractérise l'Homme, en principe, c'est l'union
de ces deux natures.
Ni ange, ni bête, il est un être intermédiaire placé entre les anges et les bêtes.
Or, comment peut-on penser l'unité de cet être, si l'on se contente de juxtaposer en lui deux
substances aussi irréductibles que son âme et son corps, sa nature divine et sa nature animale ?
Qu'est-ce qui les relie l'une à l'autre, qu'est-ce qui les unifie dans une nature humaine ?
« On rattache l'âme à un corps et on l'introduit en lui, sans aucunement définir la cause de cette
union ni l'état du corps en question.
Il semblerait pourtant que ce fût indispensable.
C'est en effet
grâce à un élément commun qu'un terme agit en quelque manière et que l'autre pâtit, que l'un est
mû et que l'autre meut, et aucun de ces rapports mutuels ne s'établit entre des termes pris au
hasard.
Or nos théoriciens s'efforcent seulement de déterminer quelle sorte d'être est l'âme, mais
pour le corps qui doit la recevoir ils n'apportent plus aucune détermination ; comme s'il se pouvait
conformément aux mythes pythagoriciens, que n'importe quelle âme pénètre dans n'importe quel
corps ! Opinion absurde, car il semble que chaque corps possède une forme et une figure
particulières.
» (De anima, I).
Le problème de ce schéma dualiste, c'est qu'il permet très bien de penser l'opposition entre les dieux
et les bêtes...
mais qu'il permet malaisément de penser la place intermédiaire de l'Homme.
Si la
grande séparation entre les dieux et les bêtes passe par la condition immortelle des uns et la
condition mortelle des autres, comment alors devons-nous penser la condition de l'Homme qui est à
cheval sur les deux ? Doit-on dire qu'il est mortel comme les animaux ? Ou immortel comme les
dieux ? Doit-on dire, à la façon de Platon, que son corps meurt tandis que son âme subsiste ? Mais
alors, délivré de la prison du corps, cet Homme est-il encore un Homme ? Qu'est-ce en effet qu'un
pur esprit, sinon déjà un ange ou un dieu ?
Face à ce problème, la pensée chrétienne d'Augustin semble plus conséquente : car c'est bien à
l'Homme lui-même et non à son esprit qu'est promise l'éternité divine.
C'est en tant qu'Homme,
c'est-à-dire en tant qu'il est corps et esprit, animal et divin tout à la fois, qu'il est supposé vaincre la
mort.
Aussi faut-il croire également à la résurrection des corps.
Fort bien...
Mais comment un corps
animal pourrait-il bien devenir immortel? N'est-ce pas paradoxal ? Si ce qui caractérise la vie
animale est précisément cette lutte permanente contre l'entropie, lutte qui suppose sans arrêt de
compenser les pertes par de nouveaux apports, que resterait-il encore d'« animal » dans un corps
devenu immortel ? Pourquoi ce corps aurait-il encore besoin de manger ? Pourquoi aurait-il encore
besoin de respirer, pourquoi aurait-il besoin de se reproduire ? Toutes ces fonctions élémentaires du
vivant n'ont de sens que sous l'horizon de la mortalité !
C'est contre cet embarrassant problème que se débat désespérément Augustin dans le livre XIII de
la Cité de Dieu.
La question qu'il se pose est : à quoi ressemblera le corps glorieux des ressuscités ?
Et la réponse qu'il propose est la suivante : « De même que nous appelons corps animaux ceux qui
ont une âme vivante, ainsi on nomme corps spirituels ceux qui ont un esprit vivifiant.
Dieu nous
garde toutefois de croire que ces corps glorieux deviennent des esprits : ils gardent la nature du
corps, sans en avoir la pesanteur ni la corruption.
L'homme alors ne sera pas terrestre, mais
céleste, non que le corps qui a été tiré de la terre cesse d'être, mais parce que Dieu le rendra
capable de demeurer dans le ciel, en ne changeant pas sa nature, mais ses qualités.
Or, le premier
homme, qui était terrestre et formé de la terre, a été créé avec une âme vivante et non avec un esprit
vivifiant, qui lui était réservé comme prix de son obéissance.
C'est pourquoi il avait besoin de boire
et de manger pour se garantir de la faim et de la soif, et il n'était pas immortel par sa nature, mais
seulement par le moyen de l'arbre de vie qui le défendait de la vieillesse et de la mort ; il ne faut
donc point douter que son corps ne fût animal et non spirituel, et cependant, il ne serait point mort,
s'il n'eût encouru par son péché l'effet de menaces divines, condamné dès ce moment à disputer au
temps et à la vieillesse » (Cité de Dieu,, XIII, 23)
Le « corps animal », c'est donc ce corps vivant qui doit manger et boire, qui doit déféquer, qui doit
se reproduire aussi.
Si ce corps animal n'était pas mortel par nature, aucune de ces fonctions
physiologiques ne serait compréhensible.
Mais il n'en reste pas moins que ce corps animal, toujours
en butte contre la mort, peut aussi théoriquement être maintenu en vie durant un temps indéfini.
Adam avait, comme n'importe quel animal, besoin de manger et de boire pour se garantir de la faim
et de la soif.
Mais il puisait dans l'arbre de vie de quoi se maintenir en vie indéfiniment.
Manière
d'admettre que ce n'est pas parce que l'animal est un être mortel qu'il doit nécessairement mourir.
Parce qu'il est mortel, il doit lutter en permanence contre la mort.
Mais cette lutte peut aussi être une
lutte victorieuse...
En revanche, un « corps immortel » n'est pas seulement un corps qui échapperait à la mort.
C'est un
corps qui n'est pas du tout exposé à la mort et qui, par conséquent, n'a aucunement à craindre la
corruption.
De sorte que ce corps immortel, que Augustin nomme « corps spirituel », n'a en vérité
plus rien d'animal ! C'est un corps qui n'a plus aucun besoin de se nourrir ni de se reproduire.
Mieux encore, c'est un corps qui n'a plus rien de pesant puisqu'il est capable de demeurer dans le
ciel ! Drôle de corps que ce corps qui n'en est plus vraiment un et qui n'a plus grand chose d'un
corps vivant ! Augustin a beau préciser que sa nature de corps n'est pas modifiée substantiellement,
et que seules certaines de ses qualités ont été modifiées, on peut tout de même se demander si c'est
bien encore de notre corps qu'il s'agit, et si en troquant son « corps animal » pour un « corps
spirituel » l'Homme n'a pas perdu une part importante de son identité.
Malheureusement la solution inverse, assurant la perpétuation de notre corps animal, ne serait guère
plus convaincante ! Dans le petit ouvrage qu'il consacre à la question de l'animal (L'ouvert) , le
philosophe Gorgio Agamben évoque avec humour les débats de la scolastique médiévale à propos
du corps glorieux des ressuscités.
Question qui peut paraître anecdotique, mais où se joue en réalité
la crise de l'anthropologie dualiste : « Les deux principales fonctions de la vie animale -la nutrition
et la génération -sont affectées à la conservation de l'individu et de l'espèce ; mais, après la
résurrection, le genre humain atteindrait un nombre préétabli et, en absence de la mort, ces deux
fonctions deviendraient complètement inutiles.
En outre, si les ressuscités continuaient à manger et
à se reproduire, le paradis ne serait jamais assez grand non seulement pour les contenir tous, mais
aussi pour recueillir leurs excréments, au point de justifier l'invective ironique de Guillaume de
Paris : maledicta Paradisus in qua tantum cacatur ! (Maudit paradis, où l'on trouve tant de
caca!)»
II) L'Homme est un “animal rationnel”
Le projet de fonder la dignité et le privilège humains sur un dualisme métaphysique s'avère donc
assez problématique.
Ce projet revient à supposer que l'Homme serait certes en partie un animal...
mais qu'il ne serait pas que cela.
Cachée dans le recoin de son âme gîrait une étincelle divine,
source de sa dignité singulière.
C'est donc du fait qu'il n'est pas réductible à un animal que l'Homme
tirerait son privilège.
Mais n'y a-t-il pas une autre façon de justifier ce privilège ? Plutôt que
d'affirmer que....
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