Le pari de Pascal et les limites de la science
Publié le 12/01/2025
Extrait du document
«
B) Le pari de Pascal et les limites de la science
Il y a deux façons d’envisager le pari de l’existence de Dieu.
Le premier
concerne les probabilités, le second la géométrie.
Paradoxalement, c’est le
premier qui sert à Pascal à affirmer la puissance du raisonnement tandis
que le second, pourtant assis sur des siècles de certitudes rationnelles, est
l’occasion d’un discours mystique sur les limites intrinsèques du savoir.
Le
premier explore les possibilités intellectuelles du discours probabiliste pour
transcender l’incertitude sur un sujet aussi essentiel que l’orientation de la
vie humaine.
Le second démontre l’impossibilité de toute science de la
nature et exhorte à l’humble contemplation du monde.
Dans un célèbre passage, Pascal propose en effet d’appliquer les
probabilités à la théologie : c’est le fameux « pari ».
L’édition dite de PortRoyal des Pensées (qui date de 1670) introduit le pari comme destiné aux
« personnes qui n’étant pas convaincues des preuves de la Religion, et
encore moins des raisons des Athées, demeurent en un état de suspension
entre la foi et l’infidélité ».
Le pari est une remarquable tentative de
mathématiser la question de la foi, à l’aide d’arguments d’une grande
modernité malgré une erreur mathématique fondamentale à l’époque
impossible à identifier clairement.
Discutant avec un interlocuteur
imaginaire, Pascal commence par établir la nécessité, pour quelqu’un dont
le jugement sur la foi n’est pas définitif, de faire son choix, puisqu’il n’est
pas possible de ne pas jouer.
Pascal se lance ensuite dans un
raisonnement probabiliste.
Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est.
Si vous gagnez,
vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien.
Gagez donc qu’il
est sans hésiter.
— Cela est admirable : oui, il faut gager ; mais je gage
peut-être trop.
— Voyons.
Puisqu’il y a pareil hasard de gain et de perte,
si vous n’aviez qu’à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore
gager.
Mais s’il y en avait trois à gagner, il faudrait jouer (puisque vous
êtes dans la nécessité de jouer) et vous seriez imprudent, lorsque vous
êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois à un
jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain.
(...) Mais il y a ici une
infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un
nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini.
Cela est
tout pari : partout où est l’infini et où il n’y a pas infinité de hasards de
perte contre celui de gain, il n’y a point à balancer, il faut tout donner.
Rappelons tout d’abord que la probabilité attachée à un événement donné
est un nombre entre 0 et 1, d’autant plus proche de 1 que l’événement en
question est probable.
Les exemples classiques pour illustrer le concept
relèvent des jeux de hasard.
Ainsi, en jouant à pile ou face (« pile ou croix
» dans la langue de Pascal) avec une pièce de monnaie supposée bien
équilibrée, la probabilité d’obtenir pile est égale à 0,5.
Pascal ne dispose
pas encore de cette notion de probabilité comme d’un nombre entre 0 et
1
1, et envisage plutôt un rapport, ou plus exactement une relation, entre
les issues favorables et l’ensemble des issues — un peu comme lorsque
nous disons « une chance sur deux », sous-entendant « une issue
favorable pour deux issues possibles », étant implicitement accepté que
les deux issues sont également probables.
Pascal modélise l’éventualité de
l’existence de Dieu comme résultant d’une expérience aléatoire qui donne
un résultat positif (« Dieu existe ») avec probabilité p et un résultat
négatif (« Dieu n’existe pas ») avec probabilité 1–p, où p est un certain
nombre.
La modélisation de Pascal emprunte au vocabulaire des jeux de
hasard : il s’agit de savoir si un joueur a intérêt à faire le pari de la foi ou
bien le pari contraire.
Chacun d’entre nous est « embarqué » : nous
n’avons pas la possibilité de ne pas jouer.
Nos gains et nos pertes sont
quantifiés par des « vies », en des termes qui rappellent les jeu vidéos.
Nous misons notre vie présente, et Pascal se demande les gains que nous
pouvons attendre en faisant le pari que Dieu existe.
Il se livre, de façon un
peu tortueuse, à un calcul d’«espérance mathématique».
Par définition,
l’espérance mathématique E d’un jeu de hasard est la somme des gains
possibles pondérée par les probabilités de ces gains.
Dans le cas présent,
deux issues sont possibles : Dieu existe, ou Dieu n’existe pas.
Dans le
second cas, puisque nous avons pris le pari de la foi, nous ne gagnons rien
(et notre mise initiale, notre vie, est donc perdue).
Dans le premier cas,
Pascal, prend le cas d’un gain g égal à deux vies.
Même si Pascal ne le dit
pas de façon explicite, l’on peut considérer qu’il raisonne à parier de la
formule E = pg, le produit pg correspondant au gain en cas d’existence de
Dieu, pondéré par la probabilité de cette existence.
(Pour être complet, il
faudrait écrire E = pg–(1–p)×0 : le parieur reçoit un gain g en cas de
succès et un gain nul en cas d’échec.) Pour clarifier ce point, Pascal
mentionne le cas d’une probabilité 0,5 («il y a pareil hasard de gain et de
perte») et d’un gain de 2 vies, ce qui nous donne E=1, valeur à mettre en
balance avec la mise initiale d’une vie.
Le raisonnement de Pascal consiste plus ou moins à dire que le pari de la
foi est le bon choix dès lors que l’espérance de gain E est supérieure à la
mise initiale, c’est-à-dire que le produit pg est au moins égal à 1.
Dans le
cas d’un pile ou face (p = 0,5), le gain en cas de succès doit être d’au
moins 2 pour équilibrer, d’un pont de vue probabiliste, la mise de 1
initiale.
Plus généralement, le pari de la foi est avantageux d’un point de
vue probabiliste dès lors que le produit pg est supérieur à 1, autrement dit
que le gain g est supérieur à l’inverse de sa probabilité.
Une erreur classique, consiste à présenter l’argument de Pascal sous la
forme particulièrement affaiblie suivante : croire en Dieu ne coûte rien si
l’on se trompe mais rapporte beaucoup si l’on a raison.
Une telle
interprétation peut certes s’appuyer sur certaines parties de la formulation
de Pascal, mais ne résiste pas à l’examen détaillé du passage concerné
(notamment celui où est posée la question de savoir si l’on « gage trop »).
Le risque qu’il y a de perdre effectivement la mise initiale (sa propre vie)
2
est clairement intégrée au raisonnement, fût-ce d’une manière un peu
difficile à déchiffrer.
Cette fusion entre théologie et probabilités peut être
rétrospectivement comprise comme la première théorisation d’un «
principe de précaution », que Pascal appuie sur ce qui est alors la partie la
plus moderne de la science....
»
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