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ROME, OU LE CULTE DE LA MORT VOLONTAIRE

Publié le 18/12/2022

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« L I! s u C ROME, OU LE CULTE DE LA MORT VOLONTAIRE A Rome, le suicide est honoré comme un acte de courage politique.

Geste essentiel lement aristocratique, il apparaît comme une tradition que les grandes familles entretiennent de génération en génération.

Jusqu 'à ce que s'affermisse, au rer siècle de not re è r e , le pouvoir des empereurs, qui seuls désormais auront droit de vie et de mort sur leurs sujets. L'HISTOIRE : A Rome, le suicide n'est pas Interdit.

Il est même souvent auréolé de gloire...

Estce une exception dans les clvlllsations de !'Antiquité? JEAN• Louis vo1s1N : Tout d'abord, le terme même de suicide n'existe ni en grec ni en latin ; c'est par une périphrase qu'on le traduit.

Ensuite, il n'y a qu'à Rome, en effet, que le suicide est admis sans réserve.

Les autres cultures l'interdisent ou le tolèrent sous certaines conditions très restrictives, et Athènes le prohibe formellement, le suicidé recevant même un traitement funéraire particulièrement humiliant puisque sa main est tranchée et enterrée à part - mais la pratique en est infiniment moins courante chez les Grecs que dans leur propre mythologie! L'H.

: N'y avait-li pas pourtant des écoles de philosophie grecques ouvertes à l'Idée de suicide? J.- L .

v.

: Il n'en est qu'une, l'épicu- risme, qui, effectivement, ne la rejetait pas.

Mais, contrairement à ce que l'on pense généralement, le stoïcisme n'est pas une école qui intègre la mort volontaire au cœur de son éthique.

Seul le sage peut s'y résoudre, et encore! Uni- Entretien avec Jean-Louis Voisin Maître de conférences à l'université de Dijon, Jean-Louis Voisin a publié, avec Marcel Le Glay et Yann Le Bohec, une H istoire romaine (PUF, 1994), quement en certaines circonstances. Dans ses Lois, Platon le proscrit sans appel : un homme capable de se tuer est un homicide capable de tuer autrui, donc un forcené en puissance; si l'on attente à sa vie, c'est toujours dans un moment d'égarement, de déraison. affronter les huées de la foule dans le cortège de son vainqueur. L'H .

: Comment expliquer que l ' attitude des Romains vis-à-v i s du suicide soit si différente? J.-L.

v.

: Sans doute faut-il chercher sentiellement aristocratique, une tradition que les grandes familles entretiennent de génération en génération.

Ainsi, lorsque, en 9 ap.

J.-C., Varus se transperce de son épée après sa défaite contre les Germains d'Arminius, il est probable qu'il se souvient de son père et de son grand-père qui, eux aussi, se sont ôté la vie.

Caton, lui non plus, n'est pas un cas isolé dans sa famille : sa sœur, son gendre, sa fille et son fils se sont également suicidés.

Il y avait donc dans la société romaine une éducation de la mort volontaire, celle-ci apparaissant comme l'acte, par excellence, d'un homme libre. Il n'est ainsi pas étonnant que des suicides d'esclaves soient également signalés.

Ces individus réduits à la condition servile à l'issue d'une bataille parce qu'ils n'avaient pas eu assez de cœur pour se tuer au moment de leur capture ne faisaient-ils pas alors montre d'un courage digne d'un homme libre ? De une influence étrusque dans le fait que la mort volontaire y est non seulement acceptée, mais donnée comme modèle.

On s'élève en se tuant.

C'est si vrai que les grands tournants de l'histoire de Rome sont marqués par des suicides édifiants : celui de Lucrèce en 509 av.

J.-C.

annonce l'abolition de la royauté, celui de Caton en 46 av.

J.-C.

la fin de la République. Le refus de se donner la mort, en revanche, est interprété comme une fuite honteuse.

En 167 av.

J.-C., Persée de Macédoine, qui venait d'être vaincu, avait supplié Paul Émile de ne pas figurer dans son triomphe.

Le général romain lui avait alors laissé un glaive pour ne pas subir le déshonneur.

Mais Persée, n'ayant pas eu le courage de se tuer, dut L ' HISTOIRE N ' 32 1 89 JUIN 1995 L'H.

: Cette fascination pour la noblesse de l ' acte suicidaire se retrouve-t-elle à tous les niveaux de l ' échelle sociale? J.

- L.

v.

: Le suicide est un geste es- En 46 av.

J.-C., Caton d'Utique se donne la mort (page de gauche). Par ce geste, il revendique son statut d'homme libre, profondément attaché à la république et opposé au régime impérial instauré par César (tableau de Gianbattista Langetti, XVII' siècle, Venise, Ca' Re:u.onico; cl.

Giraudon). même, on reconnaissait aux femmes qui mettaient fin à leurs jours un courage viril qu'il convenait de saluer.

Pline l' Ancien (23-79) a cette formule : «Même Dieu ne peut pas tout : il ne peut se donner la mort, quand même il le voudrait, le plus beau privilège qu'il ait accordé à l'homme au milieu de tous les maux de la vie.» L'H.

: Comment les Romains se donnaient-ils la mort? J.

-L.

V.

: Souvent le suicide est public. Ce n'est pas un acte qui déshonore; pourquoi se cacherait-on? En outre, avant de passer à l'acte, on prend soin de réunir son «consilium », son conseil d'amis et de proches, auquel on expose les raisons de sa décision.

Quant aux façons de se tuer, elles vont de l'épée, le mode le plus noble, mais aussi le plus fréquent au soir d'une défaite militaire, à la section des veines, encore que cette dernière méthode disparaisse après le I"' siècle ap.

J.-C.

On recourt plus rarement au poison, qui n'est jamais très sûr.

Ici et là, quelques curiosités sont signalées, comme cette femme qui s'étrangle avec son soutien-gorge ou cet homme qui s'asphyxie au gaz carbonique ... L'H.

: Et la pendaison? J.-L.

v.

: Les Romains admettent toutes les formes de suicide sauf, curieusement, celui-là.

Toutes les sources épigraphiques ainsi que le vieux droit pontifical le confirment : les pendus, comme les crucifiés, n'ont pas le droit d'être enterrés.

Et, de fait, on a fort peu de traces de suicides par pendaison.

Pourquoi? Sans doute parce que le pendu meurt, par définition, sans contact avec le sol. Or, on sait toute la charge symbolique que représente la terre, la terre matricielle, du commencement à la fin de la vie, à Rome.

Un enfant qui naît n'est-il pas aussitôt déposé sur la terre, d'où il vient et où il retournera? La pendaison est donc ressentie comme une offense à cet ordre des choses.

Il est possible que, pour les mêmes.... »

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