La révolte des vignerons du midi
Publié le 05/01/2023
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«
La révolte des vignerons du Midi en 1907
Narbonne, le 5 mai 1907, le premier meeting d’une mobilisation
sans égale dans l’histoire contemporaine de la France : 80000
personnes manifestent contre la fraude sur les vins.
La révolte des
vignerons du Languedoc en 1907 désigne un vaste mouvement de
manifestations survenu en 1907, dans le Languedoc et dans le
Roussillon, réprimé par le cabinet Clemenceau.
Fruit d'une grave
crise viticole survenue au début du XXe siècle, ce mouvement,
aussi appelé « révolte des gueux » du Midi, a été marqué par la
fraternisation du 17e régiment d'infanterie de ligne avec les
manifestants, à Béziers.
“Mars-juin 1907 : la révolte gronde dans le Midi viticole, de
Perpignan à Nîmes, après la démission des maires, le Comité de
défense viticole d’Argeliers est arrêté, l’armée occupe le Midi.
Des
émeutes éclatent, on relève des morts.
L’un des régiments, le 17e
d’infanterie de Béziers, se mutine.
C’est l’apogée d’une crise.
La
France retient son souffle.
La révolte du Midi et la mutinerie du
17e régiment sont entrées à jamais dans une mémoire collective
toujours ravivée par la récurrence des crises viticoles.” Par Rémy
Pech.
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse et
membre de framespa/umr 5136, il est l’auteur d’un livre récent sur la
révolte des vignerons de 1907
•Les évènements de 1907
1907 : la crise de mévente des vins sévit depuis sept ans en
Languedoc et en Roussillon.
Aux fortes récoltes fournies par le vignoble
français reconstitué après le phylloxéra s’ajoutent des vins importés et
des vins artificiels produits en fraude au grand mécontentement des
vignerons.
M a r c e l i n Albert, 55 ans, petit propriétaire d’Argeliers, village d u M i
n e r v o i s , s’efforçait depuis plusieurs années de mobiliser les
vignerons pour obtenir des pouvoirs publics une réelle politique de
répression de la fraude.
Le 11 mars au matin, il entraîne 87 vignerons de
son village à Narbonne, où a été dépêchée une commission d’enquête
parlementaire sur la crise.
Tous sont entendus, mais ils décident de
poursuivre leur mouvement jusqu’au vote de lois contre la fraude.
Autour
du Comité de défense viticole d’Argeliers, qui édite un hebdomadaire
largement diffusé, Le Tocsin, sont organisés des rassemblements tous les
dimanches afin de mobiliser, avec les propriétaires, les ouvriers qui
avaient mené de grandes grèves au cours des années précédentes.
D’abord convoqués dans les villages du Narbonnais, les meetings
investissent ensuite les villes pour impressionner davantage la presse
nationale et les pouvoirs publics.
Le 5 mai, à Narbonne, Ernest Ferroul,
maire socialiste et ancien député, entre en lice.
Il politise le mouvement
en fixant un ultimatum au 10 juin, assorti de la menace d’une grève de
l’impôt et d’une démission des municipalités.
Le mouvement culmine à
Montpellier le 9 juin avec plus de 600 000 manifestants, soit plus du tiers
de la population des quatre départements en révolte.
À partir du 10 juin,
la plupart des municipalités remettent leur démission malgré les
objurgations du président du Conseil Georges Clemenceau.
Celui-ci, qui
avait observé sans trop d’inquiétude la montée du mouvement, dénonce
soudain un « péril réactionnaire » et taxe de menées séparatistes Albert
et Ferroul pour leurs discours à tonalité régionaliste.
Il fait consigner ou
évacuer les régiments à recrutement local cantonnés dans les villes du
Midi et les remplace par des troupes venues de loin.
L’arrestation des
membres du Comité et de Ferroul fait monter la tension.
Les 19 et 20
juin, à Narbonne, des fusillades font six morts, dont Cécile Bourrel, une
jeune fille de 20 ans.
À Perpignan, la préfecture est incendiée.
À Agde, les soldats du 17e
d’infanterie se mutinent, pillent une poudrière et marchent sur Béziers.
Le
21 juin, Clemenceau conforte sa majorité à la Chambre et obtient avec
l’aide du Comité d’Argeliers la reddition des mutins, qui sont transférés à
Gafsa en Tunisie.
Le 23 juin, Albert, qui avait évité l’arrestation, rencontre
Clemenceau à Paris.
Il accepte de prêcher le calme.
Les 29 juin et 15
juillet sont votées des lois contre la fraude.
Elles réglementent le sucrage,
imposent la déclaration des récoltes et le contrôle de la circulation des
vins.
Le Comité d’Argeliers est libéré le 2 août, et les troupes évacuent le
Midi au cours de l’été.
Une Confédération générale des vignerons (CGV)
est fondée le 22 septembre sous la présidence de Ferroul.
Les ouvriers
refusent d’y adhérer, mais elle joue son rôle dans la répression des
fraudes.
Jusque-là réticents, les petits propriétaires commencent à se
lancer dans la création de coopératives viticoles.
L’énergie manifestée au
printemps 1907 n’a pas été perdue.
• Les causes de la crise
Un demi-siècle plus tôt s’était ouverte avec la crise du phylloxéra une
période de profonde restructuration de la viticulture.
La reconstitution du
vignoble en avait, et pas seulement dans le Midi, fortement augmenté le
potentiel : nouvelles superficies cultivées dans les basses plaines ou les
sables littoraux, encépagement plus productif, avec en vedette le
carignan et l’aramon, monoculture accentuée.
L’essor démographique
s’était poursuivi, et les villes du vin, comme les moindres villages, avaient
pris cet aspect pimpant qui ressort des cartes postales de l’époque.
Avec la restructuration du commerce des vins, les manipulations et les
altérations des produits se multiplient (assemblages avec les vins
d’Algérie qui représentent bientôt 5% de la production métropolitaine) et
la santé du consommateur est mise en cause.
On assiste à un dévoiement
du goût, et la notion de vin naturel s’estompe.
À partir de 1889 sont
votées des lois de défense du produit, mais elles laissent subsister des
vins artificiels, et les députés du Midi ne peuvent empêcher la loi de 1903
facilitant le sucrage.
La loi du 1er août 1905, qui combat les falsifications
et garantit l’authenticité des produits, n’est pas vraiment appliquée, faute
d’un service de répression des fraudes suffisant.
D’où l’exaspération des
viticulteurs.
Très tôt mis en avant par Marcelin Albert et les petits
vignerons, le thème de la fraude est repris à partir de 1905 par les gros
propriétaires et présenté comme un élément de mobilisation générale
face à un État taxé d’impuissance ou de complicité.
La société de progrès qui est en place (salaires relativement élevés,
possible accession à la propriété, alphabétisation, loisirs) demeure fragile,
car dépendante d’une monoculture.
Les vignerons, devant la crise, font
alors appel : « République, protège-nous ! » proclame la pancarte de
Palaja, village proche de Carcassonne.
Chacun veut conserver l’espoir
d’un sort meilleur et cet espoir, identifié à la vigne, semble compromis.
Cent ans se sont écoulés, et la vigne est toujours là.
Si bien des choses
ont évolué, on peut aussi relever plusieurs éléments de comparaison.
On a assisté depuis les années 1970-1980 (accords de Dublin, arrachages
subventionnés, renouvellement de l’encépagement) à une reconstitution
du vignoble, mais au prix d’un remembrement foncier (de 450 000 à
moins de 300 000 ha).
Les viticulteurs sont désormais minoritaires, même
dans les villages viticoles ! La diversification des cultures et des activités
ne compense pas ces pertes perceptibles dans les paysages et parmi la
population ; la qualité, assise sur les terroirs, s’est à coup sûr renforcée.
On est sorti de la crise « par le haut », mais les vignerons ont le
sentiment d’atteindre des limites, indépassables malgré une créativité qui
se manifeste par exemple dans l’invention de boissons nouvelles à base
de vin.
Trois éléments profondément neufs en référence à 1907 affectent
aujourd’hui la commercialisation du vin : la mondialisation, souvent
soulignée mais uniquement pour la déplorer, a été aussi une opportunité
pour la conquête de nouveaux marchés ; la distribution sur le marché
national est largement accaparée par les grandes surfaces ; la
consommation du vin, enfin, est aujourd’hui remise en cause.
En 1907, il
était un produit hygiénique indiscuté, cette qualification ayant été
renforcée et presque sacralisée en 14-18 : « le pinard de la Victoire ».
Aujourd’hui, contraste : des avancées scientifiques ont montré que vin et
santé n’étaient nullement contradictoires (prévention des affections
cardio-vasculaires et de l’Alzheimer notamment), mais l’antialcoolisme –
légitime – est souvent polarisé contre le vin.
La consommation de celui-ci
ayant été divisée par 2,5 au cours des trente dernières années, l’injustice
de cette stigmatisation est pourtant évidente !
La société actuelle est certes moins viticole, mais la vigne et le vin restent
des emblèmes régionaux.
La prise en charge collective de la mémoire des
luttes viticoles est peut-être un pas, tout au moins un signe
d’appropriation d’un passé plus proche de nous que la croisade des
Albigeois…
•La révolte
Avec les grands meetings (Narbonne, Béziers, Perpignan, Carcassonne,
Nîmes et Montpellier) qui se succèdent du 5 mai au 9 juin 1907, chacun
d’eux réunissant plus de 100 000 manifestants, nous sommes en
présence du dernier grand soulèvement populaire qu’a connu la France.
Les vignerons puisent leurs références dans d’anciennes révoltes : les
gueux, les jacques, voire les camisards (« Nous sommes des parpaillots », écrit Le
Tocsin).
Il convient toutefois d’observer que c’est une révolte légale et même
légaliste : les vignerons réclament au gouvernement l’application et le
perfectionnement d’une législation jugée trop peu protectrice.
Le 11 mars,
la première manifestation, dite « des 87 d’Argeliers », consiste à faire
pression sur le Parlement à travers sa commission d’enquête –
interpellée, mais non malmenée –, et trois mois plus tard, les 29 juin et
15 juillet, des lois viticoles essentielles sont dûment votées.
Par ailleurs,
la révolte est tolérée et même encouragée par le gouvernement qui
comprend, sur une dizaine de ministres, quatre parlementaires élus de
départements viticoles (Doumergue, Sarraut, Dujardin-Beaumetz et
Clemenceau lui-même, sénateur du Var).
Enfin, l’ultimatum avec pour
issue la démission des municipalités et la grève de l’impôt, s’il a été
monté en épingle comme attentatoire à la stabilité du régime et à l’unité
nationale par Clemenceau, consiste en moyens déjà employés en 1905.
La grève administrative n’a interrompu ni la tenue de l’état civil ni le
fonctionnement des services.
Il faut prendre en compte tous ces éléments pour mesurer la stupeur des
vignerons quand se déclenche la répression : l’attitude opposée d’Albert
et de Ferroul part d’un même souci.
Tous deux veulent éviter des heurts
avec la troupe, mais l’un se laisse arrêter, l’autre esquive pour finalement
se rendre à Paris et perdre tout crédit dans la confrontation directe avec
le Tigre.
Les comités de défense communaux, constitués en quelques semaines
dans chaque village, les meetings où figurent en bon ordre notables,
femmes, enfants, et jusqu’aux soldats, les pancartes si éloquentes, les
drapeaux tricolores, symbole à la fois des communes et de l’attachement
à la nation, les prises de parole de plus en plus ritualisées, tout cela est
parfaitement orchestré par le Comité d’Argeliers et son journal-affiche
hebdomadaire, Le Tocsin, dont le numéro 1 paraît le 21 avril 1907.
Ces différents éléments vont entrer dans le patrimoine des luttes viticoles,
comme modèle à reproduire ou simplement comme référence.
Et dans
toutes celles qui suivront sans exception (1935, 1953, 1961, 1967, 1976,
1982…), l’articulation entre la mobilisation populaire, la démarche
corporative et l’action législative sera un souci constant.
•Un seul mot d’ordre : contre la fraude.
Ce sont des députés de la majorité (Brousse, Razimbaud) qui ont entamé
le débat sur la fraude.
Porte-parole de leur électorat, ils n’hésitent pas à
s’engager au côté des révoltés et à porter leurs demandes au niveau du
Parlement.
L’initiative du mot d’ordre antifraude revient sans conteste à Marcelin
Albert, qui le propage sans grand succès dès 1901.
Après la période
conflictuelle des années 1903 et 1904, ce mot d’ordre est repris par les
grands viticulteurs, à la Société d’agriculture de l’Hérault et au Syndicat
professionnel agricole de Béziers qui organise un congrès en ce sens au
début de 1905.
Les ouvriers, soucieux de ne pas subir de récupération
politicienne, dans l’esprit de la charte d’Amiens qui venait d’être votée par
la CGT en 1906, sont réticents, mais ils se rallient au mouvement dès....
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