Introduction L’étude de la sexualité dans la deuxième moitié du XXe siècle mène généralement à marquer une rupture en 1968. Néanmoins, cette révolution sexuelle tire ses origines de phénomènes bien plus profonds et généraux dont 68 est la mise au jour ; de plus, si les manifestations de 68 et celles qui ont suivi ont permis un certain nombre de changements, elles n’ont pas automatiquement et immédiatement modifié les mœurs françaises, puisque la révolution sexuelle demeure inachevée au seuil des années 1980. C’est donc sur une temporalité plus longue que nous devons nous placer. Les années qui suivent la Libération sont le moment où la France se reconcentre sur la jeunesse, en la pensant comme l’avenir de la nation. La révolution sexuelle fait partie des libertés que tente d’acquérir cette jeunesse, sans toutefois que les revendications soient uniformes. Ainsi, la révolution sexuelle sera un de nos sujets, mais nous nous intéresserons également aux mutations qui touchent l’ensemble de la société, au-delà des revendications, et notamment la sphère privée. Malgré tout, la deuxième moitié du XXe siècle est bien une époque qui connaît des mutations extrêmement rapides et entrecroisées. Il s’agira de constater combien le paysage sexuel français se redessine autour de l’acceptation progressive d’une pluralité des sexualités – qui ne sont plus considérées comme des déviances –, et à l’inverse autour de nouveaux tabous, dans un contexte de révolution sexuelle, de libération des mœurs et de passage à une société de la consommation désécularisée. Nous suivrons un plan essentiellement thématique pour brosser le portrait de cette nouvelle France et des différents combats de ces décennies décisives pour la question sexuelle : nous évoquerons en premier lieu les relations hétérosexuelles et ses mutations, avant de nous intéresser plus spécifiquement à la révolution sexuelle et aux combats féministes. Enfin, il s’agira d’évoquer la reconnaissance des sexualités plurielles, alternatives, au travers des combats LGBT et des évolutions des opinions. 2 Fiche histoire des sexualités (1950-1995) I. Sexualité, couple et famille A)Redéfinition de la sexualité i- Les nouvelles formes de la sexualité hétérosexuelle 1. Du devoir conjugal au droit à l’orgasme Dès la fin du XIXe siècle, le plaisir dans le couple commence à être encouragé. Mais à partir des années 70, on a une inflexion : Années 50 : beaucoup d’hommes vont voir des médecins en s’inquiétant d’une potentielle incapacité à donner du plaisir leur partenaire (éjaculation précoce, impuissance...) ; Années 60 : beaucoup de femmes s’inquiètent d’une incapacité physiologique à atteindre l’orgasme ; Années 70 : ces problèmes physiques résolus, de plus en plus de gens consultent en craignant une incapacité physiologique à donner du plaisir à son partenaire. On prend conscience des inégales performances sexuelles selon le partenaire. Or, la sexualité devient 3 Fiche histoire des sexualités (1950-1995) un pilier du couple, au même titre que le dévouement réciproque ou l’enfant.1 Dans les siècles précédents, l’Église ne préconise globalement qu’une sexualité procréationnelle pour la femme, même si certains théologiens tolèrent quelques comportements qui ne visent qu’au plaisir. Malgré tout, il est difficile de savoir dans quelle mesure ces consignes étaient respectées. Si la sexologie est créée dès le XIXe siècle, elle ne devient une branche légitimée des sciences humaines qu’après la Seconde guerre mondiale. La sexologie, contrairement à la psychanalyse, prétend pouvoir obtenir des guérisons par un désapprentissage des conditionnements. La guérison peut passer par la masturbation : on assiste à une dépathologisation de l’onanisme, véritable rupture dans notre système culturel. Après avoir été prohibée (mythe biblique d’Onan, tué pour son comportement), la masturbation devient un passage encouragé pour une rencontre réussie avec l’autre – d’après les sexologues2 en tout cas (ce genre d’idées ne pénètrent sans doute pas instantanément la société). C’est dans les années 70 qu’elle devient véritablement considérée comme normale, en tant que sexualité « provisoire », propre à l’adolescent. Le devoir conjugal se mue peu à peu en droit à l’orgasme. L’État s’en mêle et crée le CIRM (Centre d’information sur la régulation des naissances, la maternité et la vie sexuelle) en 1976. On s’y adresse par téléphone : anonyme et personnalisé, cet entretien rappelle le confessionnal. Le succès est grand et des questions très précises sont posées. Si le CIRM renonce à ce genre d’activités en 1980, c’est à la télévision qu’on les retrouve, avec Psyshow, par exemple, créée en 1983, émission dans laquelle un couple explique ses difficultés affectives ou sexuelles. On commence à parler de « santé sexuelle », ce qui est plus que la seule absence de maladies (pour l’OMS en 1946, la santé est un « état de complet bien-être physique, mental et social »). Cela s’accentue au tournant 1980-1990 : le sida (syndrome d’immunodéficience acquise) bouleverse les pratiques et augmente prévention des risques de contamination, ce qui aboutit à une augmentation des recherches quantitatives et qualitatives sur la sexualité en général. 2. Des changements dans le contrôle social - La sexualité préconjugale Les adolescentes continuent de subir la vision de la virginité comme un prérequis pour le mariage au moins jusque dans les années 60. Cependant, à partir des années 50, la moitié des mariages se font après une première relation (qui est en fait la plupart du temps avec le futur époux). La sexualité préconjugale tend tout de même dans les années 60 à se libéraliser, mais reste centrée autour de l’amour, prérequis supposé de tout rapport sexuel. Si les pratiques se développent, les jeunes filles refusent d’en parler. Les jeunes filles pour qui le plaisir est un argument suffisant sont surtout des étudiantes parisiennes athées, alors que les autres doivent se battre avec les valeurs qui leurs sont inculquées. 1 Observations de Masters et Johnson. 2 Exemple : 1976, Gilbert Tordjman, Le Dialogue sexuel. 4 Fiche histoire des sexualités (1950-1995) Dans l’après-guerre, la « première fois » se fait de plus en plus souvent entre jeunes du même (recours avant souvent aux prostituées ou femmes mûres dans des relations ambigües). Dans les années 60/70, ou l’amour est valorisé, la première fois se fait aussi synonyme d’émotion, et est considérée comme réussie quand la fille n’a pas eu de douleur et n’est pas enceinte. L’entrée précoce dans la sexualité est une fierté pour les garçons, qui n’hésitent pas à étaler les maladies vénériennes qu’ils ont attrapées pour en donner la preuve. Ces dernières ne sont en effet pas considérées comme un grand risque, notamment en raison des progrès médicaux. Cette entrée est plus tardive dans les classes bourgeoises, qui sortent plus tard de l’école. La « première fois » est considérée comme une manière de prouver la virilité et surtout l’hétérosexualité : il ne fait pas bon d’être vu comme un « puceau ». L’initiation par une prostituée est en perte de vitesse (4% en 1970 pour les hommes de 30 ans). Les jeunes hommes sont aussi tiraillés entre un modèle sexuel brutal et dragueur, et un modèle d’amoureux doux et tendre, prôné par la musique et le cinéma. - La fidélité On a une remise en cause de la monogamie du côté féminin, notamment à cause de l’allongement de l’espérance de vie. Cela pourrait être dû à une prise de conscience de l’éphémère (à partir des années 20, puis cela va croissant), mais aussi à la redécouverte des potentialités sexuelles de la femme : l’émancipation, parfois, peut être vue comme l’envie de voir autre chose qu’un seul homme. Paradoxalement, dans le même temps, l’amour et la fidélité prennent une place plus importante dans le couple, qu’il soit marié ou non : le mariage est pris comme quelque chose de sérieux, au contraire de l’adolescent qui peut se permettre de « s’amuser » dans sa jeunesse. Ce sentiment est plus présent chez les garçons, qui sont en 1965 seulement 5% à être mariés à 20 ans alors que les filles du même âge sont 28 % à l’être. ii- La redéfinition des rôles genrés 1. Les rôles genrés dans la sexualité L’évolution de la sexualité est visible dans le courrier des lecteurs des magazines comme Union ou F.magazine : d’abord (années 60) l’homme bon au lit est celui qui s’adapte au tempo plus lent de la femme pour lui permettre d’atteindre l’orgasme. Mais F.Magazine prône par la suite le retour du « macho » conquérant au lit qu’il est plus excitant de conquérir à son tour. La femme d’action ne veut pas d’égard qui l’inférioriserait. Il faut se conformer aux fantasmes masculins, non plus par soumission mais dans le cadre d’un « un contrat de complicité » (HDLVP). Marie-Claire donne le témoignage d’une prostituée qui encourage les femmes à assouvir les fantasmes de leur mari sous peine de le voir partir ailleurs chercher son plaisir. Mais les prosélytes de cette révolution restent minoritaires. La plupart des magazines prônent plutôt une communication dans le couple où sexualité saine et amour pérenne sont synonymes. 2. Unisexualité et idéaux corporels Philippe Ariès affirme que peu à peu, à la suite des années 60 notamment, les rôles deviennent dans une certaine mesure interchangeables. C’est par ailleurs la fin de la ségrégation (bistrots masculins, lavoirs féminins...). Hommes et femmes 5 Fiche histoire des sexualités (1950-1995) portent les mêmes vêtements (pantalons pour femmes), le père lange le bébé. Mais l’androgynie des mannequins ne doit pas cacher des fantasmes masculins souvent portés sur des femmes aux courbes généreuses (c’est prégnant dans la pornographie) et les postes importants de ministre sont confiés aux hommes, à part Edith Cresson. De plus, à partir des années 50, avec l’arrivée du modèle de la pin-up américaine et la remise en cause des règles de la pudeur, les jeunes filles sont de plus en plus incitées à mettre en valeur leur corps : des revues comme Mademoiselle Age Tendre leur prodiguent ainsi des conseils. Cependant, cette injonction de se rendre désirable n’efface pas le modèle de la mère au foyer, discrète et serviable : ces exigences contradictoires amènent à relativiser la « libération féminine » de ces années, qui montre dans les deux cas une importante réduction de la femme à son corps. Pendant les Trente Glorieuses, les jeunes garçons sont incités à entretenir un corps sportif et musclé, ce qui développe l’usage de cosmétique masculins promus par des magazines comme Salut les copains. L’impératif de séduction est pourtant plus pragmatique que pour les filles : il s’agit surtout de pouvoir avoir une descendance. Mais cette tendance à faire attention à son apparence chez les garçons est nuancée par la pression sociale qui veut accuse l’homme coquet d’homosexuel. Même si Givenchy et Dior créent des parfums pour homme dès la fin des années 50, ceux qui en portent sont souvent stigmatisés. On voit donc que si hommes et femmes perdent certaines de leurs différences, les injonctions demeurent très particulières à un genre donné. B) La libéralisation du discours et la nouvelle éducation sexuelle i- De nouveaux discours et une éducation sexuelle 1. Une éducation informelle - Forger des représentations Les parents dans les années 60 et 70 sont encore gênés de faire l’éducation sexuelle de leurs enfants : jusque dans les années 70, les jeunes ont très peu d’information théorique, et tirent leurs représentations de celles que leur fournit la société. Si les magazines à caractère pornographique et licencieux sont introduit après-guerre, à la fois pour les jeunes (1949) et pour les adultes, subsistent des moyens détournés d’avoir accès à des images plus ou moins explicites. Si l’imagerie homosexuelle est la plus complexe à trouver, restent tout de même les magazines de scoutisme, de musculation (revue Muscles) ou de football. - Le « flirt » et la « drague » Les boums, surboums et surprises-parties se démocratisent dans les années 60 et permettent aux adolescents de renforcer leur appartenance à un groupe. C’est là que la pratique du flirt se développe, qui n’est alors plus comme auparavant une pratique de classe, mais caractéristique d’une génération. Mais dans les années 60, les filles sont tiraillées entre les reproches d’être des « salopes » qui se donnent trop facilement et des « allumeuses », qui ne se donnent pas ou pas assez. Les garçons qui ne draguent pas, quant à eux sont taxés d’homosexualité. 6 Fiche histoire des sexualités (1950-1995) 2. À l’école - Les débuts d’éducation sexuelle Dès 1947, avec le rapport François, le gouvernement statue de la nécessité d’une « éducation sexuelle » pour dispenser une éducation véritablement complète. Il y a ainsi une importance à la fois de l’information sexuelle (théorie fonctionnelle) et de la « moralité sexuelle » (éducation au contrôle de la pratique et à la maîtrise de son « instinct » sexuel, qu’il faut dominer par la raison). Le rapport préconise ainsi l’évitement de toute forme de sexualité préconjugale, en proposant des activités « saines » à la place à l’école : seule la sexualité conjugale doit être encouragée. Les réformes ne sont cependant pas engagées jusqu’aux années 60 : des tentatives isolées, mais rares, comme celles de Pierre Chambre, obtiennent pourtant un certain succès auprès des familles et de l’école, notamment en prévenant contre les maladies vénériennes. Le planning familial est aussi favorable à l’éducation sexuelle et est à l’origine d’initiatives, surtout à partir de 1967 : mais les informations sur la contraception, les grossesses et les maladies ne concernent que les jeunes filles. En 1969, le collectif « Information et éducation sexuelles » est fondé, pour proposer des interventions auprès des collèges et des lycées, alors que l’École des Parents publie la même année une brochure à propos de l’éducation sexuelle en réalité davantage destinée aux enfants qu’aux parents. C’est en 1973 que les circulaires Fontanet (février et juillet) instituent l’éducation sexuelle à l’école, dénuée de toute dimension morale. L’information sexuelle est intégrée aux programmes de biologie, de la sixième à la Terminale, alors que l’aspect moral dépend du chef d’établissement et est exclusivement traité dans des séances facultatives, soumises à l’autorisation parentale. Ces initiatives sont confiées à des associations catholiques ou au Planning familial. La France est alors divisée entre une frange notamment catholique qui pense qu’éducation vaut incitation, et une autre qui pense que les jeunes doivent pouvoir faire face par le savoir à une société de plus en plus érotisée. - La mixité La mixité avait longtemps été dénoncée, bien que pratiquée jusqu’au XXe siècle dans les colonies de vacances et dans les écoles rurales, car elle détournerait de l’envie de savoir. Les catholiques, et ce jusque dans les années 80, redoutaient aussi qu’elle n’engendre une sexualité précoce qui mène à la débauche. Mais le rapport François juge la mixité utile pour contrer l’homosexualité : en 1975, la loi Haby normalise la mixité. L’opinion publique est alors toujours méfiante vis-à-vis de cette pratique, et la moitié des Français la tolèrent seulement parce que bien encadrée et surveillée. ii- Une redéfinition des transgressions et modes de consommation du sexe 1. Redéfinition des déviances De nombreux psychanalystes expliquent que l’excitation sexuelle est issue d’un sentiment d’hostilité (cf. R. Stoller), d’un désir de vengeance ou d’humiliation. On découvre alors que le fantasme du viol, déjà connu chez l’homme, est aussi répandu parmi les femmes. Avant, certains prétendaient bien 7 Fiche histoire des sexualités (1950-1995) que les femmes « adoraient ça » : Stoller explique que cette assertion n’est vraie que si le viol demeure dans le domaine fantasmatique. Les fantasmes considérés comme « malsains » ne sont plus l’apanage des « déviants » : haine et fétichismes étonnants se trouvent chez tout le monde. Quant à l’inceste, il est sans doute aussi présent dans la haute société, mais on en parle surtout dans le « quart-monde ». Il n’est pas toujours considéré comme déviant (il n’est pas prohibé par l’Ancien Testament et on constate un réel étonnement de certains couples père-fille quand on les condamne). Mais il reste un immense tabou, il est bien sûr interdit, et donc inquantifiable. 2. La pornographie Il y a une frontière floue entre la pornographie et l’érotisme (accepté). En 1960 : JJ Pauvert poursuivi pour avoir édité de la pornographie (notamment le marquis de Sade), mais les livres vendus comme érotiques plutôt que pornographiques ont un grand succès tout au long de notre période. Il en va de même pour le « porno soft », comme Emmanuelle qui fait 1 350 000 entrées en 1974. En 1975, une catégorie juridique rassemble pornographie et films incitant à la violence : ils sont alors projetés dans des salles spéciales avec une fiscalité exceptionnelle... mais il n’y a pas de définition de la pornographie, ou alors très discutable car peu claire. Légale, la pornographie n’est pas pour autant acceptée : personne ne se vante d’en regarder, ce qui se traduit par les départs furtifs des cinémas spécialisés. La pornographie est un des modes privilégiés de la sexualité « libérée » dans la société de consommation. En effet, la logique commerciale s’introduit bien vite dans la pornographie, annulant sa visée subversive3 louée par les militants de 68 : différentes catégories sont créées pour que la pornographie puisse s’accorder à tous les fantasmes (gay, S/M, zoophilie, scatologie...). Sa privatisation développée dans les années 1980 par le magnétophone, Canal+, puis internet L’exemple des magazines : Lui apparaît en 1963, encore plus sexualisé après 1968, concurrencé par la version française de Playboy dès 1973. En 1966 apparaissent les premiers sexshops à Paris (1973 : opacification des vitrines et interdiction de vente aux mineurs). 3. La prostitution On se rend compte au XXe siècle que ce ne sont pas des dispositions héréditaires qui poussent à la prostitution mais des dispositions sociologiques/psychologiques : manque de pouvoir d’achat, viol précoce... Des questionnements, peu ou prou absents au XIXe siècle, se développent sur le fait que c’est la demande qui motive l’offre, demande due à un couple marital très peu érotisé (liée à la sexualité coupable du christianisme). C’est dans ce contexte qu’en 1946, la loi Marthe Richard ferme les maisons closes, abolit le régime de la prostitution règlementée. Certains militent alors pour qu’elle soit remise en 3 En 1975, le film Exhibition de Jean-François Davy était présenté à Cannes. D’abord classé « X », il a ensuite été classé « Art et Essai » et ne prétendait pas provenir d’une logique commerciale. 8 Fiche histoire des sexualités (1950-1995) place, sous contrôle médical, pour guérir ou prévenir certains troubles sexuels. S’opposent alors : - Les néo-règlementaristes : ces féministes veulent légaliser la prostitution, parfois en affirmant qu’elle est plus épanouissante que la sexualité conjugale (pas d’affectif), et pour déstigmatiser le sexe (organisation de distribution de préservatifs lors de tournées nocturnes face au sida). Ils encouragent aussi la liberté de disposer absolument de son corps. - Les néo-abolitionnistes : ces féministes, parfois religieux (mais pas toujours), veulent la disparition de la prostitution. Ils dénoncent le rôle des mafias dans les réseaux de prostitution, les moyens barbares pour soumettre les filles (drogue et violence). Se développent alors des manifestations et réclamations de prostituées : en 1975 par exemple, une centaine de prostituées occupent une église à Lyon. Grisélidis Réal, dans Le Noir est une couleur (1974), se décrit comme écrivaine et péripatéticienne, voit la prostitution comme un art, un humanisme, une science et un acte révolutionnaire. Mais les aspirations sont diverses : dignité, accès aux soins, besoin de reconnaissance, envie d’échapper au trottoir... Par ailleurs, la prostitution ne se réduit pas à transaction par laquelle un homme achète une relation sexuelle avec une femme ; il y a aussi une prostitution masculine et transgenre, s’adressant à la population masculine, mais aussi une prostitution pour femmes, souvent délocalisée à l’étranger. 4. L’évolution du regard sur la pédophilie (avant 1945-1995) Cette sous-partie est constituée d’extraits de l’interview d’Anne-Claude Ambroise-Rendu4 pour France Culture : « La génération de mai 1968 est-elle laxiste avec la pédophilie ? » Depuis 1832, le Code pénal sanctionne toute relation sexuelle entre enfants et adultes. En dessous d'un âge minimum qui a varié - fixé à 11 ans en 1832, 15 ans en 1945 -, il présume en effet qu'un mineur, parce qu'il manque de discernement, ne peut pas consentir à un acte sexuel. Ce qui est blessé par les abus sexuels commis sur des enfants, lit-on en filigrane dans les récits qu'en fait la presse jusqu'aux années 1960, ce sont moins les enfants que la société, son honneur et sa moralité, ainsi qu'en témoignent les termes d’« outrage à la morale publique » utilisés par le Code pénal. Cette approche exclusivement moralisante explique assez largement la réaction des décennies ultérieures. Car c'est bien en faisant éclater un carcan moral qu'ils jugent étouffant que Gide et Montherlant, bravant la loi et les convenances, vivent leurs désirs. Les années qui suivent représentent en effet une vraie rupture culturelle et morale : Libération, qui affirme vouloir tout simplement « traiter des relations entre les gens comme des faits de société » et « ne pas les ghettoïser, en circuits fermés et cinémas spécialisés » , accueille l'écrivain Tony Duvert et Gabriel Matzneff, interviewés par le chroniqueur et écrivain Guy Hocquenghem. Les uns comme les autres affirment leur amour pour les enfants, leur refus absolu de la violence et de la contrainte et leur rôle d'éducateurs. 4 Historienne spécialisée dans le viol, la pédophilie et l’indignation. 9 Fiche histoire des sexualités (1950-1995) Globalement, les sexualités non-hétéronormées et non-reproductives sont mises en avant (sexualités alternatives) et demandent une égalité dans la loi. Les pédophiles s'engouffrent en quelque sorte dans cette brèche en disant : 'Nous demandons pour nous et pour les enfants, et au nom de la liberté sexuelle des enfants, un certain nombre de choses.'" Le Fhar va très rapidement se désolidariser de ces revendications pédophiles en jugeant que ce n'est pas exactement du même ordre. Néanmoins, la dynamique est lancée et c'est ainsi qu'on voit des intellectuels diffuser ce discours de la libération, un discours aussi d'interrogation quant à ce qu’est l'enfance et qui prétendent s'exprimer au nom de la liberté de l'enfant et du droit de l'enfant. La question, c'est : 'Les mineurs ont-ils droit au désir ?' Et la réponse qu'ils apportent à ça, évidemment, c’est : ‘oui’.