etude de trois textes de manon lescaut
Publié le 06/01/2024
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«
Une vie mouvementée
Né en Artois en 1697, AF PREVOST eut une existence très mouvementée.
Pendant une vingtaine
d’années, deux êtres semblent aux prises en lui : l’un aspire à la discipline de la vie religieuse tandis
que l’autre est possédé par le démon de l’aventure.
Prévost d'Exiles est l'homme de toutes les
contradictions : tour à tour moine et soldat, janséniste et jésuite, moraliste chrétien et philosophe
libertin, il n'est d'aucune secte, d'aucun parti.
Il ne se sent libre ni en France, ni en Angleterre, ni en
Hollande ; rêvant de s'évader et revenant toujours à ses chaînes, il n'est nulle part chez lui ; il est, du
nom même qu'il s'est donné, Prévost « d'Exiles ».
Novice chez les Jésuites, il quitte le couvent à deux reprises puis passe chez les bénédictins et est
ordonné prêtre en 1726.
Pourtant dès 1728, il s’échappe de son abbaye.
Il doit gagner l’étranger,
séjourne en Angleterre et en Hollande puis rentre en France en 1734.
Il devient aumônier du prince
de Conti mais doit s’exiler une seconde fois.
A son retour (1743), il semble définitivement assagi.
Pourvu d’un bénéfice ecclésiastique, il travaille à une histoire des Condé.
Il meurt en 1763 alors qu’il
méritait des ouvrages d’apologétique.
Un polygraphe
L’Abbé P fut un écrivain intarissable dont presque toutes les œuvres sont d’ailleurs tombées dans
l’oubli.
Il publia d’abord de longs romans ; les mémoires d’un homme de qualité, commencé alors
qu’il était encore bénédictin est paru à partir de 1728, mérite une mention particulière car le tome 7
contenait l’histoire du chevalier des Grieux et de Manon l’Escaut (Amsterdam, 1731) ; citons encore
le Philosophe anglais et le doyen de Killerine.
Puis les biographies romancées des mémoires pour
servir à l’histoire de la vertu, des contes, une histoire générale des voyages, etc.
Prévost fut également journaliste, alimentant de sa prose “le pour le contre” (1733-1740) et
collaborant à d’autres gazettes.
Enfin il traduisit de nombreux livres anglais en particulier les romans
de Richardson : Pamela (1742), Clarisse Arlow, Grandisson,
Manon Lescaut
Emergeant de cette volumineuse production, un petit livre “Manon Lescaut” a immortalisé son
auteur.
Extrait des mémoires d’un homme de qualité, ce récit bref et dépouillé fut édité séparément
à partir de 1753 ; il n’a cessé depuis lors d’être considéré comme l’un des chefs d’oeuvre du roman
français.
Il doit cette illustre destinée aux liens particuliers qui l’unissent à son auteur et à son
époque, et plus encore à sa valeur humaine impérissable.
1) Le témoignage intime
Prévost a mis dans ce roman le meilleur de son art et beaucoup de lui-même : comme Prévost, Des
Grieux s’enfuit du séminaire.
Comme lui, il succombe aisément aux tentations sans renier cependant
sa formation morale et religieuse.
Sans doute faut-il se garder de pousser trop loin l’assimilation :
l’auteur a largement transposé son drame personnel et l’on ne saurait préciser la part de fiction et
celle de la réalité.
Il reste manifeste cependant que Manon Lescaut contient, surtout du point de vue
psychologique, de nombreux éléments d’autobiographie.
2) Le roman de mœurs
L’œuvre nous restitue aussi avec une vérité presque gênante parfois tout un milieu social immoral et
corrompu, caractéristique de l’époque.
Elle joue à cet égard le rôle que joueront les Liaisons
dangereuses pour la fin du 18ème siècle.
Manon et Des Grieux vivent parmi des êtres dénués de tous principes moraux et même de tout sens
du bien et du mal.
Une seule raison de vivre : le plaisir ; et comme le plaisir coûte cher, on se procure
de l’argent par tous les moyens.
Petit être grâcieux mais amoral et inconscient, Manon semble être née pour un pareil milieu mais
Des Grieux lui-même en subit la contagion.
Et nous assistons à sa déchéance progressive, d’autant
plus terrible qu’elle est consciente.
3) La valeur humaine
Mais Manon Lescaut est avant tout une immortelle histoire d’amour : Manon et Des Grieux ont leur
place parmi les plus célèbres amants de la littérature.
L’abbé Prévost a peint de façon saisissante
l’élan des deux jeunes gens l’un vers l’autre et la passion qui asservit entièrement Des Grieux à son
empire ; il est même parvenu à nous faire croire à l’amour sincère de Manon malgré ses infidélités.
En dépit du caractère frivole de l’héroïne et des faiblesses coupables du héros, la passion qui anime
toute l’oeuvre garde une sorte d’innocence : c’est qu’elle est instinctive, naturelle et vraie.
31) la passion fatale
Elle est surtout fatale aux deux sens de ce terme, d’abord qu’elle apparaît comme un entraînement
irrésistible et transforme sur le champ l’être qu’elle envahit ; ensuite parce que toute séduisante
qu’elle est, elle conduit sans recours les amants à leur perte.
“par quelle fatalité suis-je devenu criminel ?” s’écrit Des Grieux.
L’amour est une passion innocente ;
comment s’est-il changé pour moi en une source de misère et de désordre ?”
32) portée morale
L’Abbé Prévost affirmait que son roman pouvait servir à l’instruction des mœurs : “le public verra
dans la conduite de Des Grieux un exemple terrible de la force des passions.
J’ai à peindre un jeune
aveugle qui refuse d’être heureux pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes ...;
qui prévoit ses malheurs sans vouloir les éviter ; qui les sent et qui en est accablé sans profiter des
remèdes qu’on lui offre sans cesse...”.
Cette impuissance à triompher de la passion n’est pas san rappeler les héros raciniens et Paul Azard
a pu voir dans Manon Lescaut une œuvre d’inspiration janséniste : la Providence interviendrait dans
l’action et pour avoir confié toutes ses espérances à un amour trop humain, Des Grieux se verrait
condamné à demeurer à jamais insatisfait.
En revanche, comment n’être pas frappé de
l’immoralisme des personnages et de ce charme que garde Manon en dépit de ses tarres morales?
Faudra-t-il croire alors à une revendication en faveur de la nature et de l’instinct contre toutes les
contraintes, y compris la loi morale ?
Il vaut mieux renoncer à chercher une thèse dans ce roman : l’ auteur n’a pas écrit un livre
moralisateur mais, selon la tradition des moralistes français, il a pensé sans doute que la peinture
fidèle de la réalité psychologique, sans complaisance ni faux-fuyants était le meilleur enseignement
moral que puisse donner la littérature.
33) Classicisme et romantisme
L’élément autobiographique et surtout la peinture de la passion fatale invitent à considérer Manon
Lescaut comme une œuvre déjà préromantique : on songe à l’apologie de la passion par Rousseau
(cf.
Nouvelle Héloïse) puis par les romantiques.
L’influence de Manon Lescaut a certainement joué”
dans ce sens.
Il ne s’agit pas de la réhabiliter mais de constater lucidement son redoutable pouvoir
et ses ravages dans une âme faible.
De plus, l’abbé Prévost ne recherche jamais le pittoresque : quoique la fin du roman nous transporte
en Amérique, aucune notation vraiment exotique n’apparaît.
Enfin le style est sobre, dépouillé,
précis : il vise au naturel ; aucune déclamation : loin d’être étalée, l’émotion reste discrète et
contenue.
Tout concourt à montrer la complexité de l’individu, et notamment la forme qu’utilise l’abbé
Prévost.
Ses récits sont labyrinthiques, sinueux, aux intrigues nombreuses et entremêlées, où la
chronologie est parfois bouleversée, où les évènements entrent en correspondance les uns avec les
autres.
Cet enchevêtrement reflète la confusion de l’homme face à la complexité de l’existence, son
aveuglement dans la passion à laquelle ne résistent ni ordre, ni morale, ni sagesse.
L’instabilité est
soulignée par des personnages toujours en mouvement, vivant dans les auberges, dans des
transports, en voyage, en fuite.
Leur seul point d’ancrage arrive généralement à la fin, par une
retraite dans un couvent ou par la mort.
L’abbé Prévost fait donc le lien entre le roman baroque, plein de bruit et de fureur, et celui à venir,
se préoccupant plus de l’intime, de l’amour impossible et pourtant indispensable, en y ajoutant des
préoccupations existentielles sur le Destin voire la volonté divine.
On voit bien la connexion entre sa vie et son œuvre, notée par Sainte-Beuve.
Ce sont ces récits qui
l’ont porté au pinacle de son époque en tant que romancier.
Il ne faut pas oublier que Cleveland fut
le roman le plus lu des Lumières, après La Nouvelle Héloïse de Rousseau qui d’ailleurs lui vouait un
véritable culte.
Mais c’est Manon Lescaut à laquelle Prévost a attaché son nom.
Ce qui est ironique,
car ce roman, au texte bref, à l’intrigue linéaire et unique, est assez différent formellement du reste
de son œuvre.
Il en garde cependant les thématiques et les questions.
Pendant longtemps, Prévost
ne fut, dans la conscience collective, que l’auteur d’un seul texte, qui lui permettait d’être considéré
comme un des grands écrivains du XVIIIe siècle.
Mais on commence à redécouvrir à la fin du XXe
siècle le reste de ses écrits.
Texte 1 : Des Grieux s’éprend de Manon
Destiné par ses parents à l’Ordre de Malte, le jeune chevalier Des Grieux vient d’achever ses études
de philosophie à Amiens.
Il se dispose à rentrer dans sa....
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