RIVAROL (1753-1801) S»B L’UNIVERSALITÉ BE LA LANCEE FRANÇAISE
Publié le 29/08/2022
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«
RIVAROL
(1753-1801)
S»B L’UNIVERSALITÉ BE LA LANCEE FRANÇAISE
Notice biographique.
De l’Universalité de la langue française.
— Historique.
— Analyse
de l ’Universalité.
— Etude littéraire : les idées de Rivarol
sur la langue française.
— L’écrivain.
Notice biographique (1).
— Dans une virulente satire
Marie-Joseph Chénier faisait parler en ces termes un publiciste
qui lui avait décoché bien des épigrammes mordantes :
C’est dans Bagnols que j ’ai vu la lumière,
Au cabaret où feu mon pauvre père
A juste prix faisait noce et festin..
Celui dont « le frère d’Abel Chénier » raillait si cruellement
les basses origines était Antoine Roch Rivarol, le futur
« comte », un des plus spirituels auteurs du xvm® siècle (2).
Il était né à Bagnols, près d’Uzès, dans le Languedoc, le
26 juin 1753.
Son père, le petit-fils de Jean Rivaroli, officier
du duc de MantoUe qui s’était fixé à Nîmes en 1717, avait, pour
faire vivre sa famille de seize enfants, exercé le métier de
« fabricant de soie », tenu l’hôtellerie des Trois Pigeons, et,
finalement, était devenu, en 1763, « receveur des droits
réunis », c’est-à-dire collecteur d’impôts.
Assez lettré et même
poète à ses heures, cet aubergiste avait fait donner une bonne
éducation à ses enfants (3).
(1) Consulter sur Rivarol : L’Esprit de Rivarol (1808) ; Vies de Rivarol par Cubières-
Palmezeaux (1803), Sulpice de la Platière (1808) et par sa veuve en l’an X;
Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, tome V; L.
Curnier, Rivarol (1858); OEuvres
choisies chez Delahaye (1857); De Lescure, Rivarol, sa vie, ses ouvrages (1862) et
Rivarol et la Société française pendant la Révolution et l’Empire (1883) ; A.
Le
Breton : Rivarol (thèse de Doctorat) 1895.
— Rivarol : OEuvres choisies (Jouaust).
(2) Rivarol appelait Marie-Joseph « le frère d’Abel Chénier », l’accusant ainsi
d’avoir, par jalousie, contribué à faire monter le grand poète sur l'échafaud.
C'est
une infâme calomnie.
(3) Jean Rivarol naquit à Nîmes en 1727.
Il était fils d’Antoine Roch et de Jeanne
Bonnet, fille d’un tailleur.
Il mourut en 1807.
C'est donc à tort que, dans sa satire,
Marie-Joseph Chénier écrivit : « feu mon père ».
RIVAROL
DB L'Ul'IIWER!H.Ll!.TÉ DE L,\.
LANGUE FR,U\IÇU8E
Notice biographique.
DE L'UNIVERSALITÉ DE LA LANGUil FRANÇAISE.
- llisto,.rique.
- Analyse
de ,!'Universalité.
- Et.ude Jiltérairo : les i,dées die füva,rol
sur U,a ~.a,ogue irançaise.
- L'éorivain.
Notice biographique (1).
- Dans une virulente satire
Marie-Joseph Chénier faisait parler en ces termes un publiciste
qui lui avait décoché bien des épigrammes mordantes:
C'est dans Bagnols que j'ai vu la lumière,
Au caba·ret où feu mon pau,,re père
A juste prix faisait noce et fet;lin.
Celui dont « le frère d'Abel Chénier» raillait si cruellement
les basses origines était Antoine Roch Rivarol, le futur
« comte », un des plus spirituels auteurs du xvm• siècle (2).
Il était né à Bagnols, près d'Uzès, dans le Languedoc, le
26 juin 1753.
Son père, le petit-fils de Jean Rivaroli, officier
du duc de Mantoue qui s'était fixé à Nîmes en f 717, avait, pour
faire vivre sa famille de seize enfants, exercé le métier de
« fabricant de soie », tenu l'hôtellerie des Trois Pigeons, et,
finalement, était devenu, en !763, « receveur des droits
réunis» , c'est-à-dire collecteur d'impôts.
Assez lettré et même
poète à ses heures, cet aubergiste avait fait donner une bonne
éducation à ses enfants (3).
(l) Consulter 11Ur Rivarol : L'E,prit de Rivarol (1808); Yie& de Rivarol par Cubières-
Palmeieaux (1803), Sulpice de la Platière (1808) et pilr sa veuve en l'an X;
Sainte-Beuve.
Cau.series du Lundi, tome V i L.
Curnier, niuarol (t 858); OEuvre.s
choisies chez.
Delahaye (1857); De Lescure, Rivarol.
1a vie, us ouvrages (1862) et
Rivarol et la So ciété française pendant la Révolution et l'Empire (1883); A.
Le
Breton: Rrnarol (thèse de Doctoral) t8!)5.
- Rivaro1 : OE«vres choisies (Jouaust).
(~) Rivarol appelait ltlarie•Joseph c le frôro d'Abel Chénier •• :'accusant ainsi
d'avoir, par jalousie, contribué à faire monter le grand poe te sur l'échafaud.
C'est
une infâme calomnie.
(3) Jean Rivarol naquit à Ntmes en {727.
Il était fils d'Antoine Roch el de Jeanne
Bonnet, fille d'un tailleur.
Il mourut en 1807.
C'est dooc à tort que1 dao9 aa ■atire,
Marie-Jo ■ epb Chénier écrivit: c feu mon père •·
712 AUTEURS FRANÇAIS.
Son fils Antoine, élève tout d’abord chez les Joséphites de
Bagnols et ensuite chez les Sulpiciens à Bourg-Saint-Adéol,
après avoir songé à l’état ecclésiastique, jette la soutane aux
orties avant d’avoir prononcé ses voeux et, dans l’automne de
1777, prend la diligence pour Paris où il va tenter^la fortune
littéraire.
Plein dejaconde et très intrigant, il sc glisse dans
l’intimité de Dorât;'de Buffon, de Diderot, et sous le titre de
Chevalier de Parcieux, il s’insinue dans la société mondaine,
où par son esprit méchant et son rare talent de causeur il
devientvite un coq de salons.
C’est alors qu’obligé de renoncer
au nom de chevalier de Parcieux, sur sommation du légitime
propriétaire, il s’affuble d’un titre plus sonore et s’intitule,
sans vergogne, « Monsieur le comte de Rivarol ».
C’est à cette
époque également qu’il épouse, en 1779, Miss Mather Flint (1),
une pédante, avec laquelle il fit très mauvais ménage et divorça
finalement, le 12 Brumaire de l’an III.
Cependant la notoriété lui était venue, en 1784, avec sa
traduction de VEnfer du Dante et avec son discours De rUniversalité
de la langue française; et aussi à cause du scandale
que provoquaient ses pamphlets, dont le plus célèbre est le
Petit Almanach des grands hommes pour l’année 4788.
Sa verve
endiablée lui acquiert une vogue considérable, mais suscite
également contre lui une meute acharnée d’ennemis qui
raillent ses prétentions nobiliaires et posent à notre aventurier,
dépourvu de toute fortune mais vivant au milieu du luxe,
cette question redoutable : « D’où vient l’argent? »
1 Mais brusquement la Révolution éclate.
Rivarol, qui est, au
fond, un conservateur libéral, se range cependant du côté de
la Monarchie et se jette à corps perdu dans la bataille des
journaux.
Il collabore aux Actes des apôtres ; il déverse sa bile
dans le Dictionnaire des grands hommes de la Révolution, et il
rédige d’une façon malheureusement intermittente le fameux
Journal politique national, son oeuvre la plus forte et la plus
vivante.
Mais que peuvent contre les piques des massacreurs les
épigrammes les mieux aiguisées.
Rivarol prend le parti d’émigrer
et s’enfuit à Bruxelles en compagnie d’une aventurière,
'le 10 juin 1792.
Et désormais ce sera l’exil, où il continuera
(I) Elle était d’une famille écossaise, qui s’était réfugiée en France lors de la chute
du roi Jacques II.
Née en 1750, elle mourut on 1821 après avoir publié nombre d’ouvrages
de politique et de morale.
— Rivarol en eut un fils, Raphaël, né en 1780,
qui vécut très peu auprès de son père, fut en i8°0 officier à Copenhague et servit
’ dans l’armée russe.
Il mourut là-bas en 1812.
d'abord BJgnols l'état soulane d'avoir l'automne 1.777, · tenter, deJaconde S( e;lisse l'intimité Dorat",.'s'insinue devient vite suions.
C'est qu'obligé s'affuble d'un s'intitule,
« "· C'est qu'il i),
nrumaire l'an i784, !'Enfer l'Universalité
provoqJiaient l'année 17 88.
d'ennemis redoutable: « D'où l'argent? »
' II apôtres; d'une llon et.
' · :dea d'émigrer
.
s'enfuit d'une l'exil, 1) 6ta.it ù'unc ramille écosMise, s'était Fl'ance Ia dn IL NCe 17!.iO, aprê ■ avoir- pulJJiO nomtre d'ouvr11ges
poliliquei - ms, \ 780,
~on ~n l80(} orocier â 'dan ■ l'armée ruue.
U lâ-ba» 1811.
RIVAROL.
713
à manier fépigramme et se fera reprocher vertement par
Chateaubriand de se borner à cette arme-là (1).
On le verra
errer en Belgique, en Hollande, en Angleterre, à Hambourg où
il se fixera pendant le printemps de 1800.
Mais, incapable de
vivre hors de la société mondaine, il partira pour Berlin, vers
la fin de cette même année.
Il y brillera dans les cercles officiels
et dans le salon de la princesse Dolgorouka.
Ces succès
seront la dernière joie de Rivarol; car, après une maladie de
six jours, il sera emporté par une fluxion de poitrine, le
samedi 11 avril 1801.
Quel étrange homme, en vérité ! Merveilleusement doué,
plein de finesse et de verve, se servant avec une maîtrise
incomparable de notre langue qu’il adorait et qu’il possédait
à fond, il pouvait prendre place parmi nos tout premiers
écrivains.
Mais c’était un fat, un faiseur, un personnage de
moralité douteuse, qui mena l’existence déréglée d’un gentilhomme
qu’il n’était pas ; qui prit la vie de salons pour la vie ;
qui se désespéra plus tard, lors de la tourmente révolutionnaire
de ne pas être considéré comme sérieux, parce qu’il
avait trop abusé de l’esprit.
Et, pour avoir uniquement recherché
le renom d’un brillant causeur, il est passé à côté de la
vraie gloire (2).
DE L’UNIVERSALITE DE LA LANGUE
FRANÇAISE
(i?8â)
H isto riq u e.
— En 1783, Rivarol était déjà fort connu.
Cependant quelques articles anonymes dans le Mercure,
une lettre sur les Jardins de l’abbé Delille et quelques
opuscules sans grande valeur composaient son mince
bagage.
Sa réputation, ilia devait tout entière aux « rosseries
» qu’il débitait dans les cafés, les réunions mon-
(1) A Bruxelles, Chateaubriand rencontra Rivarol.
Celui-ci lui demanda où il allait.
« Où l’on se bat * répondit brusquement le futur auteur du Génie.
(2) Voici les titres de quelques-uns de ses autres ouvrages : Lettre sur le poème
des Jardins (1782) ; L'Enfer du Dante, traduction (1785) ; Lettres à M.
Necker sur b s
opinions religieuses, sur la morale (1788) ; Le Petit Almanach des grands hommes
(1787); Journal politique national (12 juillet 1789 à novembre 1790); Petit Dictionnaire
des grands hommes de la Révolution (août 1790) ; Lettres et mémoires a
M.
de La Porte (1791) ; Discours préliminaire du nouveau Dictionnaire de la Langue
française ( 1797).
JDevrault.
— Auteurs français.
m:rnier l'épigramme t).
llollande, dt,
li füvarol; i~ H vérité! qu'il qu'il c'était l'existence d'un qu'il n'était pas; vie;
qu'il
l'esprit.
d'un L'UN I VERSALITÈ li\ 1784)
Historique.
- füvarol l'abbé el il la "qu'il t) ail 1.it.
• l'on 11e ,.
Gdnie.
i) aulre1 ouvragea potme
de, Jardina L'En(er
1791); Di.lcowr, prdliminaire nouueau Lau9ue
(r1Jnça11• Uvrault.
- 411
714 daines, les cercles littéraires.
Mais, alors, pour confondre
les médisants qui le déclaraient incapable de s’élever
au-dessus d’un talent si frivole, il entreprit de se faire
connaître sous un meilleur jour et de se révéler au grand
public, comme jadis J.-J.
Rousseau avec le Discours sur
les sciences et les arts.
L’Académie de Berlin lui en fournissait l’occasion.
Elle avait, sans doute pour obéir à un désir formel
de Frédéric II, décidé de mettre au concours les questions
suivantes : « Qu’est-ce qui a rendu la langue française universelle?
— Pourquoi mérite-t-elle cette prérogative? —
Est-il à présumer quelle la conserve ? » Un prix devait
récompenser l’auteur du meilleur mémoire.
Rivarol aimait
et connaissait bien la langue française : surmontant
son ordinaire paresse, il concourut.
Le 6 mai 1784, l’Académie prononçait à huis clos son
jugement et il fut proclamé en séance publique, le 3 juin
suivant.
Elle couronnait l’oeuvre de Rivarol, mais partageait
le prix entre le « comte » et certain Jean-Christophe
Schwab, professeur de philosophie à l’Académie Caroline
de Stuttgart (1).
Les questions proposées, le fait qu’une
académie prussienne avait classé en première ligne le
mémoire écrit par un Français, les félicitations envoyées à
Rivarol par Frédéric lui-même, tout cela provoqua en Europe
et principalement en France une sensation très profonde.
Bufïbn, qu’il avait copieusement loué,riposteparde
chaleureux éloges ; l’Académie de Berlin le reçoit parmi
ses membres et décide de placer son buste dans la salle
de ses séances; enfin, au mois de septembre 1784, Grimm,
dans sa Correspondance littéraire, donne une analyse importante
de V Universalité de la langue française, qui vient
de paraître en librairie et qui porte comme épigraphe un
hexamètre de Virgile, modifié pour la circonstance : « Tu
regere eloquio, o Galle, memento ! » Tout en blâmant des
négligences ou des hardiesses de style, Grimm écrivait :
(1) Jean-Christophe Schwab (1743-1821) devint conseiller aulique, secret ■'ire du
duc de W urtem berg, conseiller royal de l'instruction publique.
Son énorm e volume
(traduit en 1803 par Robelot) était plein d ’érudition.
11 concluait que l’Allemagne
serait une grande puissance politique, que l’anglais serait la langue coloniale, que
U français dem eurerait la langue dé V Europe.
s'élever
d'un L'Académie l'occasion.
suivantes:<< Qu'est-- r:ette -
présume1· qu'elle conserve? l'auteur mémoire_ française: f 784, l'Académie l'oeuvre » l'Académie qu'une
Buffon, qu'il loué, riposte par de
l'Académie !784, !'porle épigraph':l circonstance: « blàmant écrivait:
l) 17-4-3-tS~t) rlf"vin t.
co111,1iller ,~c r f ' l ' l i r , .
rlu
Wurtemberg, dü l'l11!)l1·ucLiou puhltqua.
ênorn 1c volu1110
lraduit i803 êtail d'êrudition.
JI concluatt l'Allemagne
aerail puiHanc~ l'anglais aeraiL lau.iu• iolooiale, lo demeurerait : ...
IADtJUl'I d~ l'~urope.
RIVAROL.
715
Ce ne sont pas ici des lieux comm uns de rhétorique ou de philosophie,
c ’est une question intéressante discutée avec beaucoup
de raison et de sagacité ; depuis longtemps nous n ’avons .rien lu
qui nous ait paru plus digne d ’être rem arqué.
A quelques idée®,
à quelques tournures près que l ’am bition de paraître neuf et o riginal
a pu seule faire hasarder à l ’auteur, nous connaissons peu
d ’ouvrages de ce genre tout à la fois plus finem ent pensés, plus
ingénieusem ent écrits (i).
Qu’importent désormais à Rivarol les attaques, du chevalier
de Sauseuil, les articles pleins de fiel que Garat
signe contre le Discours dans le Mercure, et les épigrammes
où quelques-unes de ses victimes lui reprochent
« d’avoir pillé Condillac et Buffon » (2k On commence à
le juger un écrivain de valeur : l’accueil fait à sa traduction
du Dante en témoigne (3) ; on lui prédit un glorieux
avenir ; et nous n’en serons pas étonnés en parcourant
ce Discours, qui était si gros de promesses.
Analyse de « l’Universalité» (4).
— « Une telle question
proposée sur la langue latine aurait flatté l’orgueil des Romains,
dit Rivarol en commençant, et leur histoire l’eût consacrée
comme une de ses plus belles époques.
» L’heure est venue de
dire « le monde français » comme on disait le monde romain
», et c’est le triomphe de la philosophie que de voir se
former une société des nations, non « .sous l’empire des
armes », mais sous « la domination d’une même langue ».
Les origines du français.
— Cette langue c’est notre idiome
national dont « l’universalité est si hautement avouée en
Europe ».
Bien des choses ont contribué à sa supériorité :
la position de la France, sa constitution politique, l’influence
de son climat, le génie de ses e'crivains, le caractère de ses
habitants, c’est-à-dire des facteurs physiques et moraux.
Rivarol, recherchant ensuite les origines de cette langue,
montre qu’elle fut un mélange du celte, dont se servaient les
(1) Grimm, Correspondance littéraire, philosophique et critique adressée à un
souverain d’Allemagne, feuille de septem bre 1784.
(2) Le chevalier de Sauseuil venait de term iner une Anatomie de la langue fr a n çaise
en 8 volum es.
Dans le Prospectus, par lequel il annonça son oe uvre en octobre
1784, il critiquait vivem ent Rivarol.
— Grimm : Correspondance, juillet 1785; le
Mercure, 6 et 13 août 1785.
(3) Grimm, Correspondance littéraire, juillet 1785.
(4) Comme il y a peu d ’ordre dans le discours sur l’Universalité, nous avons jugé
nécessaire d ’en donner une assez copieuse analyse.
Ce ne sont pas ici des lieux communs de rhét.orique ou de philosophie,
c'est une question intéressante discutée avec be-aucoup
de raison et de sa{l'acilé ; depui" lon.gt.emps nous n'avon~ rien 1-u
qui nous .ail paru plus digne d'être rema,rqué.
A quolq,ues idéea,
à quelques tournu,rcs près que l'.ambilion de pa-ratLre neuf el origina,
l a pu sou,le faire hasarder à •l'auteur, nous connaissons peu
d'ouvra,:es de co gen.re tout à la fois plus finement pensés, plus
ingénieusement écrits (1).
Qu'imporlent désormais à Rivarol les attaques..
du chevalier
de Sauseuil, les articles pleins de fiel que Garat
signe contre le Discours dans le Mercure, et les épigrammes
où quelques-unes de ses victimes lui reprochent
« d'avoir pillé Condillac et Buffon» (2).
On commence à
le juger un écrivain de valeur: l'accueil fait à sa traduction
ùu Dante en témoigne (3); on lui prédit un glorieux
avenir; et nous n'en serons pas étonnés en parcourant
ce Discours, qui élail si gros de promesses.
Analyse de c l'Universalité, 4-).
- « Une telle question
proposée sur la langue latine aurait flatté l'orgueil des Romains,
dit llivarol en commençant, et leur histoire l'eùt consacrée
comme une de ses plus belles époques.
» L'heu,:e est venue de
dire " le monde français » comme on disait ., le monde romain
», et c'est le triomphe de la philosophid que de voir se
former une société des nations, non « r,ous l'empire des
armes», mais sous « la domination d'une • .nême langue "·
LES ORIGINKS DU FRANÇAIS.
- Cette ]ang1•ie c'est notre idiome
national dont « l'universalité est si h,,utement avouée en
Europe "· Bien des choses ont contrib aé à sa supériorité :
la position de la France, sa constitution politique, l'influence
de son climat, le génie de ses écrivains, le caractère de ses
habitants, c'est-à-dire des facteurs physiques et moraux.
Rivarol, recherchant ensuite les origines de cette langue,
montre qu'elle fut un mélange du celte, dont se servaient les
(t) Grimm, Corre1ponacince Wteraire, philo,ophi.que et entaque adreuèe à un
1ouveruin d'AUerm,gne, reuille de i.eptembre t784.
(If) Le chevalier de Sauseuil venait de lermlner une Anatomie dt la l11ngue françai,
e en 8 volumes.
Dans le Pro,pectu., par lequel il annonça IOD oeuvre en octobre
t 7~4.
il critiquait vivement Rivarol.
- Grimm : Corre1poudance1 juillet 1785 i le
lfrrcure, 6 el t3 aoùt t 785.
(3) Grimm, Cor-re,pondauct litthaire, juillet 1785.
(4) Comme H y a peu d'ordre dana le diacoun 1ur l'Univer10Ht4.
noua avon■ jua•
DéceHaire d'en donner une a11e% copieuse aoal;yH.
716 AUTEURS FRANÇAIS.
Gaulois, et du latin et du franc que parlèrent les conquérants.
Il y eut action et réaction réciproques ; des « patois » et des
dialectes en résultèrent; au-dessus du plateau central, fleurit
avec les « trouveurs » le « picard » (que nous appelons, nous,
la langue â’oil) et, au-dessous, s’épanouit le provençal »
(c’est-à-dire la langue d’ocj, grâce auquel les troubadours
écrivirent « des romans de chevalerie et de petits poèmes
aussi intéressants que ceux des trouveurs ».
Mais l’influence
politique fait triompher le picard, clair et méthodique, à la
prononciation « un peu sourde » et qui est parlé dans les provinces
où s’élève la capitale du royaume.
La triple opposition
de l’Eglise, de l’Université et des Parlements, qui s’obstinent
à lui préférer le latin, empêche qu’on lui accorde dès lors,
« les honneurs dus à une langue légitime ».
Heureusement
voici la Renaissance, l’invention de l’imprimerie, la découverte
de l’Amérique.
Le développement inouï du commerce
et celui des échanges intellectuels obligent les Européens « à
se décider sur le choix d’une langue ».
Ce ne pouvait être l’allemand.
— Pourquoi l’allemand no
fut-il pas choisi ? C’est qu’il n’avait encore produit aucun monument
littéraire, et que même sur son territoire il cédait
toujours le pas au latin.
Il n’y avait, d’ailleurs, point de chef
dans ce vaste empire, et, quand Charles-Quint ceignit la couronne
impériale, des considérations dynastiques l’empêchèrent
de travailler pour la diffusion de la langue allemande au
détriment de l’espagnol.
Puis l’allemand « est une langue
mère », et, si les peuples d’Allemagne peuvent, grâce à leur
connaissance du latin, apprendre aisément les langues dérivées
de lui, un Italien, un Français, un Espagnol n’ont aucun appui
solide dan:? leurs efforts pour s’initier à l’allemand, dont la
prononciation « gutturale » leur répugne et qu’il faut étudier
dans des livres imprimés en caractères « gothiques » qui les
déroutent.
Du reste, malgré les indices d’une renaissance
littéraire en Allemagne, Rivarol estime que l’état politique de
ce pays nuira peut-être toujours à l’universalité de sa langue.
Ce qui nuisit a l’espagnol.
— Des motifs politiques semblaient,
en revanche, favoriser l’espagnol.
« Toute brillante
de l’or de l’Amérique », l’Espagne de Charles-Quint et de
Philippe II, maîtresse d’une partie de l’Europe et rendue plus
forte par nos discordes civiles, avait beau jeu contre nous.
Mais sa puissance s’écroula vite sous les coups de Richelieù
et de Louis XIV, et, malgré le génie de Cervantès et celui de
li réciproques; " ,.
« le" ,l'oil) s'épanouit ·• c'est-d'oc), gràce lei, »l'influence
s'élève l'Eglise, l'Université s'obstinent
Je qu'on " l'invention l'imprimerie, l'Amérique.
d'une C11 NE POUVAIT ÊTIIR L'ALLEMAND.
- l'allemand ne
choisi? C'est qu'il n'avait cédai!
n'y d'ailleurs, l'empêchèrent
l'espagnol.
l'allemand mèra ", d'Allemagne aisém,mt n'ont dam~ s'initier l'allemand, qu'il gothiques" d'une l'état l'universalité CR QUI NUISIT A L'ESPAGNOL.
- Des, l'espagnol.
l'or ùe l'Amérique l'Espagne d'une ùe l'Europe s'écroula Richelieu
Lope de Véga, on s’aperçut vite que « la magnificence de la
langue espagnole cachait une pauvreté réelle ».
Notons surtout
que « la majesté de sa prononciation invite à l’enflure et
que la simplicité de la pensée se perd dans la longueur des
mots et la plénitude des désinences ».
Charles-Quint la réservait
« pour les jours de solennité et pour ses prières ».
Et il
semble à Rivarol que ce soit cette emphase même qui Fait
exclue dc> Füniversalité.
Un rival redoutable : l’italien.
— « Mais comment, se
demande-t-il aussitôt, l’Italie n’imposa-t-elle point sa langue
à l’Europe? » Elle possédait pourtant la Rome des Césars,
continuant d’exercer sur l’univers avec la Rome des Papes la
même prédominance qu’autrefois ; et, lors de la prise de
Constantinople, tous les lettrés se réfugièrent chez elle.
Elle
était aussi la patrie du luxe et, sa marine étant florissante,
elle voyait passer entre ses mains le commerce du monde
entier.
Elle fut enfin le premier pays où se manifesta le
renouveau artistique et littéraire, cette Renaissance avec ses
poètes, ses peintres, ses sculpteurs, dont Rivarol se montre
enthousiaste.
« Qui pouvait donc, ajoute-t-il alors, arrêter
la domination d’une telle langue? »
Hélas ! ce fut, tout d’abord, la Papauté par l’usage exclusif
du latin.
Puis il y eût la multiplicité des dialectes qui rivalisaient
avec le toscan du Dante, c’est-à-dire avec « la langue
vulgaire ».
Enfin — sans parler du commerce mondial qui,
après les découvertes géographiques, passa aux mains des
Espagnols et empêcha ainsi l’italien de conquérir la suprématie
— le caractère même de cette langue l’écarta de l’Universalité.
La prose italienne « si riche et si flexible », manque
de virilité, de naïveté, de vérité ; « elle se traîne avec trop de
lenteur ; l’oreille se lasse de sa douceur et la langue de sa
mollesse ; la pensée la plus vigoureuse s’y détrempe ».
Or, c’est
la prose « qui donne l’empire aune langue, parce qu’elle est
tout usuelle » ; et c’est pourquoi, non sans témoigner une
admiration filiale à « la plus harmonieuse des langues », le
descendant des Rivaroli affirme qu’elle ne pouvait prétendre
au sceptre conquis par celle des Français.
Ce qu est le génie d’une langue.
— L’auteur s’engage ensuite
dans une digression sur l’origine des langues.
Il en voit le
germe dans les sensations qui engendrent à leur tour les raisonnements.
« L’idée simple, ou sensation, a d’abord nécessité
Le signe, et bientôt le signe a fécondé l’idée ; chaque mot a
Lope de Véga, on s'aperçut vite que « la magnificence de la
langue espagnole cachait une pauvreté réelle ».
Notons surtout
que« la majesté de sa prononciation invite à l'enflure et
que la simplicité de la pensée se perd clans la longueur des
mots et la plénitude des désinences».
Charles-Quint la réservait
« pour les jours de solennité et pour ses prières ».
Et il
semble à Rivarol que ce soit cette emphase mème qui l'ait
exclue d1> !'Universalité.
»
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