Les Contemplations, anthologie (BAC Français Objet Etude 1/4 : Poésie)
Publié le 02/10/2022
Extrait du document
«
Les Contemplations, Livres I à IV
Livre premier ; Aurore
LISE
J’AVAIS douze ans ; elle en avait bien seize.
Elle était grande, et, moi, j’étais petit.
Pour lui parler le soir plus à mon aise,
Moi, j’attendais que sa mère sortît ;
Quoiqu’on soit femme, il faut parfois qu’on lise
Puis je venais m’asseoir près de sa chaise
Dans le latin, qu’on épelle en rêvant ;
Pour lui parler le soir plus à mon aise.
Pour lui traduire un verset, à l’église,
Je me penchais sur son livre souvent.
Que de printemps passés avec leurs fleurs !
Un ange ouvrait sur nous son aile blanche
Que de feux morts, et que de tombes closes !
Quand nous étions à vêpres le dimanche.
Se souvient-on qu’il fut jadis des cœurs ?
Se souvient-on qu’il fut jadis des roses ?
Elle disait de moi : C’est un enfant !
Elle m’aimait.
Je l’aimais.
Nous étions
Je l’appelais mademoiselle Lise.
Deux purs enfants, deux parfums, deux rayons.
Pour lui traduire un psaume, bien souvent,
Je me penchais sur son livre à l’église ;
Dieu l’avait faite ange, fée et princesse.
Si bien qu’un jour, vous le vîtes, mon Dieu !
Comme elle était bien plus grande que moi,
Sa joue en fleur toucha ma lèvre en feu.
Je lui faisais des questions sans cesse
Pour le plaisir de lui dire : Pourquoi ?
Jeunes amours, si vite épanouies,
Et, par moments, elle évitait, craintive,
Vous êtes l’aube et le matin du cœur.
Mon œil rêveur qui la rendait pensive.
Charmez l’enfant, extases inouïes !
Et, quand le soir vient avec la douleur,
Puis j’étalais mon savoir enfantin,
Charmez encor nos âmes éblouies,
Mes jeux, la balle et la toupie agile ;
Jeunes amours, si vite évanouies !
J’étais tout fier d’apprendre le latin ;
Je lui montrais mon Phèdre et mon Virgile ;
Je bravais tout ; rien ne me faisait mal ;
Je lui disais : Mon père est général.
Femme au soleil levant
Caspar David Friedrich
1818
Pour commencer, le poème « Lise », onzième du premier livre « Aurore » des
Contemplations, a retenu mon attention.
Il relate la relation pure et innocente que le poète
entretenait avec une jeune fille nommée « Lise », sa première histoire d’amour, enfantine,
depuis son point de vue d’adulte.
De façon intéressante, composée de sept sixains, la
structure de ce poème apporte parfaitement de la signification à ce thème.
En effet, le poème
est structuré ; symbole du sens et de l’équilibre qui nait en le poète ayant découvert l’amour.
Par ailleurs, le chiffre sept porte aussi sa symbolique ; la maitrise de l’esprit sur la matière,
mais aussi le côté magique et son association à Dieu.
En ce sens, le poème est caractérisé
par sa dimension angélique, et spirituelle ; « Dieu l’avait faite ange, fée et princesse » « Un
ange ouvrait sur nous son aile blanche », et son vocabulaire fantastique.
La jeunesse est
aussi explorée dans ce poème, puisque le poète avait « douze ans », et ensembles, les
amoureux forment « deux purs enfants », charmés attachés par les « jeunes amours ».
Ce
souvenir amoureux et nostalgique envoute le poète dans son enfance, tout comme l’Eglise et
la religion ; ces thèmes en miroir introduisent et éveillent ceux du premier livre, et plus
largement les préoccupations de toute l’œuvre, qui retracent les « mémoires d’une âme » ;
celle de Victor Hugo, depuis sa tendre enfance.
Enfin, ce poème m’a paru profond car
reflétant « Aurore », puisque les « amours » dont le poète jeune fait connaissance sont
l’allégorie de « l’aube et le matin du cœur » ; ils métamorphosent les amoureux en « rayon ».
Alors que le poète se voit vieillir « le soir [qui] vient avec la douleur », il espère que les
jeunes amours reviennent « charmer encor nos âmes éblouies », puisque qu’ils irriguent une
foi éternelle dans l’esprit de celui qui les contemple au crépuscule de sa vie.
Tout cela nous
laisse plonger dans notre mémoire à nous, pour contempler nos souvenirs.
J’ai en outre choisi la Femme au soleil levant du peintre et dessinateur allemand Caspar
David Friedrich, considéré comme l'artiste le plus important et influent de la peinture
romantique allemande du XIXème siècle.
Peinte en 1818, la même année qu’il se marie, son
œuvre représente au centre son épouse, de dos, qui contemple la beauté du paysage illuminé
par les rayons naissants du soleil.
Un faisceau de rayons encercle le personnage et forme un
halo autour d’elle ; elle est magnifiée par la lumière et la naissance du jour qu’elle accueille
avec reconnaissance, comme dans une action de grâce.
L’artiste a, comme pour le poète,
voulu mettre en valeur son amante ravissante, et le bonheur de la contemplation, qui donne
l’espoir de se réveiller le matin pour parcourir le chemin d’une vie gracieuse.
Enfin, elle
symbolise la jeunesse, et par conséquent les premiers émois amoureux ; elle pourrait être
« Lise » pour le poète, à l’aurore d’une exaltation de ses sentiments.
Livre deuxième ; L’Ame en fleur
APRÈS L’HIVER
TOUT revit, ma bien-aimée !
L’aurore où nous nous aimâmes
La nature, sœur jumelle
Le ciel gris perd sa pâleur ;
Semble renaître à nos yeux ;
D’Ève et d’Adam et du jour,
Quand la terre est embaumée,
Et mai sourit dans nos âmes
Nous aime, nous berce et mêle
Le cœur de l’homme est meilleur.
Comme il sourit dans les cieux.
Son mystère à notre amour.
En haut, d’où l’amour ruisselle,
On entend rire, on voit luire
Il suffit que tu paraisses
En bas, où meurt la douleur,
Tous les êtres tour à tour,
Pour que le ciel, t’adorant,
La même immense étincelle
La nuit les astres bruire,
Te contemple ; et, nos caresses,
Allume l’astre et la fleur.
Et les abeilles le jour.
Toute l’ombre nous les rend !
L’hiver fuit, saison d’alarmes,
Et partout nos regards lisent,
Clartés et parfums nous-mêmes,
Noir avril mystérieux
Et, dans l’herbe et dans les nids,
Nous baignons nos cœurs
Où l’âpre sève des larmes
De petites voix nous disent :
heureux
Coule, et du cœur monte aux
Les aimants sont les bénis !
Dans les effluves suprêmes
yeux.
Des éléments amoureux.
L’air enivre ; tu reposes
Ô douce désuétude
À mon cou tes bras vainqueurs.
Et, sans qu’un souci t’oppresse,
De souffrir et de pleurer !
Sur les rosiers que de roses !
Sans que ce soit mon tourment,
Veux-tu, dans la solitude,
Que de soupirs dans nos cœurs !
J’ai l’étoile pour maîtresse,
Nous mettre à nous adorer ?
Le soleil est ton amant ;
Comme l’aube, tu me charmes ;
La branche au soleil se dore
Ta bouche et tes yeux chéris
Et nous donnons notre fièvre
Et penche, pour l’abriter,
Ont, quand tu pleures, ses
Aux fleurs où nous appuyons
Ses boutons qui vont éclore
larmes,
Nos bouches, et notre lèvre
Sur l’oiseau qui va chanter.
Et ses perles quand tu ris.
Sent le baiser des rayons.
Les quatre saisons Le Printemps
François Boucher
1755
Pour le deuxième livre, le poème « Après l’hiver », vingt-troisième de L’Ame en fleur,
m’est remarquablement apparu comme représentatif de son thème principal ; la cultivation
de l’âme par l’amour.
Là encore, le poème est ordonné en quatrains, mais est beaucoup plus
long ; il prend le temps de mûrir et savoure tous les moments avec sa bienaimée, à qui
s’adresse le poème (pronoms personnels/possessifs de second rang « tu » « ta » « tes »).
On
comprend dès le titre que le poème caractérise le renouveau de la nature au
printemps : l’« hiver fuit », et son lexique péjoratif « souffrir et pleurer » s'oppose au lexique
mélioratif caractérisant le printemps « adorer » « rire » « luire ».
La nature s’éveille, les
« berce » et prend une importance dans le récit : « la branche du soleil se dore », « aux
fleurs où nous nous appuyons ».
D’ailleurs, son âme fleurit, tout comme la nature ; « la
même étincelle allume l’astre et la fleur » « mai sourit dans nos âmes », et ce sont ces
personnifications de la nature présentes à travers le livre qui traduisent une communion de la
nature, devenant animée, et des amoureux.
Mieux encore, Hugo fait référence à
l’ « Aurore », livre premier, en évoquant une progression dans le sentiment amoureux.
En
effet, alors que « l’aurore où [ils] s’aimâtes semble renaitre à [leurs] yeux », « comme l’aube,
[elle] le charme », les personnages sont moins distancés l’un de l’autre, plus unis dans une
réciprocité certaine, en témoignent la grande présence de pronoms personnels « nous », et
même renforcés : « nous-mêmes ».
Le ton enjoué, mélodieux et gai s’inscrit donc dans la
volonté du deuxième livre d’exprimer une renaissance au printemps, symbole de la joie et du
temps des amoureux, où le « cœur de l’homme est meilleur » puisqu’il prend le temps
d’aimer, de décrire, de laisser son âme s’élever avec la nature.
Ainsi, les deux éléments,
naturel et humain, communient et fusionnent pour ne faire qu'un, après la première
découverte à l’ « Aurore », probablement l’hiver, qui lui a peut être apporté mélancolie et
tristesse.
On en reste alors pensif, admiratif, et surtout inspiré à notre tour, puisque l’absence
du nom propre universalise le partage d’émotion.
Le tableau de 1755 Les quatre saisons - Le printemps du peintre français de la cour de
Louis XV François Boucher, représentatif du style rocaille, m’a rappelé le poème « Après
l’hiver », et son livre associé « L’Ame en fleur ».
Effectivement, le cadre pastoral et idyllique
de la toile, remplie de fleurs, couplé à son titre : « Le printemps » implique qu’il représente
lui aussi une scène « Après l’hiver ».
Cette saison qui incite les amoureux à déclarer à
nouveau leur amour contraste avec celle la précédant, l’hiver, à laquelle j’associe l’Aurore,
quand le poète est encore timide et idolâtre Lise, « femme au soleil levant ».
Deux amants
sont placés au centre de la toile, mais entourés d’une faune florissante qui prend elle aussi
une grande importance dans l’œuvre, illustrant une proximité, tout comme le poème.
D’ailleurs, nous pourrions interpréter les fleurs qui couronnent les deux amants et
littéralement, et métaphoriquement ; la nature et les amoureux se mêlent en une unique
entité spatiale et temporelle, qui contribue réciproquement au développement de l’ « Ame en
fleur ».
L’amour s’y retrouve alors également dans les éléments de la nature, qui le complète,
et incite à sa méditation.
Livre troisième ; Les Luttes et les Rêves
Le radeau de l
Théodore Géri
1818-19
Pour moi, le deuxième poème du livre troisième Les Luttes et les Rêves « Mélancholia » le
représente allègrement, et illustre
au-delà son œuvre en tant
qu’homme social et politique.
C’est
le plus long poème de cette section, et l’un des plus longs de son œuvre ; cela traduit son
engagement farouche, qui le tient véritablement dans son âme.
En effet, ce poème est
argumentatif, dans lequel il lutte contre la misère sociale avec sa société humaine injuste et
égoïste, pour....
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