écologie et humanisme
Publié le 22/10/2024
Extrait du document
«
Ecologie et Société
En 1876, Elisée Reclus écrivait : « Quel prodigieux labeur
demandera la connaissance parfaite du climat, des eaux et des
roches, des plantes et des animaux ! Que d’observations classées
et raisonnées pour qu’il soit possible d’indiquer les modifications
lentes qui s’accomplissent dans l’aspect et les phénomènes
physiques des diverses contrées ! Que de précautions à prendre
pour savoir constater avec certitude les changements qui
s’opèrent par le jeu spontané de l’organisme terrestre, et les
transformations dues à la bonne ou mauvaise gestion de
l’homme ! Et pourtant c’est là qu’il faut en arriver pour se hasarder
à dire que l’on connaît la Terre.
»
Le géographe anarchiste Elisée Reclus ne parlait pas d’écologie.
Pourtant il aurait pu utiliser ce concept qui a été forgé par son
contemporain le zoologiste allemand Ernst Haeckel en 1866.
L’écologie comme science et vision du monde a été fondée dans la
seconde moitié du XIXème siècle, en pleine révolution industrielle.
Les interrogations soulevées par un développement économique
accéléré et le bouleversement rapide des conditions de vie sont à
l’origine des réflexions et des inquiétudes sur la durabilité de cette
révolution industrielle et sur les conditions de vie des sociétés
humaines.
Comme en témoignent les inquiétudes de Thomas
Malthus à la fin du 18ème siècle devant la progression trop rapide
de la population, et surtout des basses classes, en regard des
ressources limitées de la planète.
Qu’est-ce que l’écologie ?
Il paraît nécessaire de bien définir ce qu’est l’écologie, puisqu’en
français ce terme désigne aussi bien la science que l’idéologie.
Le
succès de l’écologie auprès du public, et son intérêt médiatique
croissant ont davantage mis en lumière les mouvances politiques
qui s’en réclament que son caractère scientifique.
Si l’on se réfère à son étymologie, l’écologie peut se définir comme
« une science de l’habitat ».
Celui-ci étant étendu à toute la
biosphère.
Elle étudie les conditions des êtres vivants, humains
inclus, et leurs interactions entre eux, ce que l’on appelle les
facteurs biotiques, et également leurs interactions avec le milieu
physiques : ce sont les facteurs abiotiques.
La planète ou biosphère héberge des êtres vivants constitués en
communautés de plantes et d’animaux, que l’on appelle
biocénoses, qui évoluent et se développent sur différents milieux
qui sont des biotopes.
L’association d’une communauté vivante et
son environnement physico-chimique représente un écosystème.
On appellera écologues les scientifiques qui étudient ces
interactions, pour ne pas qu’il y ait de confusions avec les
écologistes qui sont ceux qui en parlent et en font un objet
politique.
C’est une science pluridisciplinaire qui fait largement appel à la
biologie puisqu’elle concerne le vivant, mais également aux
sciences de la nature (botanique, zoologie, géologie…) et aux
sciences de l’homme (anthropologie, sociologie…) puisqu’elle est
interpellée par les inquiétudes liées à la production industrielle, à
l’agriculture et à l’alimentation.
Etant au carrefour de nombreuses disciplines, elle est d’une
extraordinaire complexité et toute tentative de simplification en
donne
une
vision
réductrice,
source
de
confusion
et
d’incompréhension auprès du public.
Evolution du concept d’écologie :
Science relativement jeune, puisqu’on peut situer son émergence
au mitan du 19ème siècle, elle connaît une évolution rapide à la
mesure de l’évolution des techniques.
Les travaux de Darwin publiés dans son ouvrage « L’origine des
espèces » sont en quelque sorte précurseurs de la science
écologique.
On a retenu de ses travaux les relations de prédation
et de compétition entre les espèces comme seuls moyens de
survie.
Puis il a été démontré que les interactions entre espèces
n’étaient pas que de compétition, que « la lutte pour la survie »
n’était pas la seule voie pour le vivant et que des relations de
coopération étaient aussi à prendre en compte et impliquaient
davantage de réciprocité entre espèces.
Les interactions entre espèces vivantes, animales et végétales
sont beaucoup plus variées et complexes que ne le suggérait
Darwin.
On a décrit depuis des relations de commensalisme
(relation de bon voisinage), de symbioses, de mutualisme et de
parasitisme comme des associations spécifiques à certaines
espèces pour s’assurer de bonnes conditions d’existence.
Ceci illustre la sophistication des interactions par lesquelles les
êtres vivants parviennent au cours de l’évolution à assurer leurs
conditions de vie et de reproduction.
Qu’elles soient d’entraide ou
d’agression, ces stratégies raffinées mises en place au cours de
l’évolution, excluent toute vision morale ou subjective.
Que leur
effet soit positif, négatif ou neutre selon les espèces concernées,
ce sont autant d’opportunités de réalisation du vivant.
Longtemps l’écologie est restée cantonnée à une vision
naturaliste, dans sa dimension purement biologique.
Même si
Malthus, de 1798 à 1826, avait suggéré l’effet néfaste de la
croissance démographique sur l’environnement, il faut attendre la
fin du 18ème siècle pour que le rôle des humains soit pris en
compte.
C’est l’américain Georges Perkins Marsh qui en 1864 introduit
l’idée que l’homme a acquis la capacité de modifier l’ordre naturel
comme aucune autre espèce avant lui.
Il dresse un inventaire des
modifications provoquées par les humains et souligne la nécessité
de la prudence chaque fois que ses actions perturbent l’équilibre
naturel.
Il s’intéresse aux moyens de restaurer l’équilibre perturbé
et suggère un gouvernement sage et avisé pour conserver, voire
améliorer, les ressources naturelles dont dépend l’humanité.
Ces réflexions n’auront que peu d’influence en Europe, à la notable
exception du géographe Elisée Reclus, qui commentera ses textes
dans la revue des Deux Mondes, et qui entretiendra une
correspondance avec Marsh.
Là où le penseur américain insiste sur
la capacité destructrice de l’humain, Reclus souligne l’intelligence
humaine pour conserver et améliorer l’environnement en
écrivant : « non seulement il sait en qualité d’agriculteur et
d’industriel, utiliser de plus en plus les produits et les forces du
globe, il apprend aussi, comme artiste, à donner aux paysages qui
l’entourent plus de charme, de grâce ou de majesté.
Devenu « la
conscience de la terre », l’homme digne de sa mission assume par
cela même une part de responsabilité dans l’harmonie et la
beauté de la nature environnante.
».
L’un comme l’autre se rejoignent pour accorder aux humains une
responsabilité dans le maintien de l’homéostasie écologique de la
planète.
L’un avec une vision pessimiste, l’autre avec une foi en
l’homme caractéristique des penseurs républicains de cette
époque.
L’optimisme dans la nature humaine affiché par le
géographe anarchiste est typique d’un courant révolutionnaire de
son temps pour lequel le comportement destructeur de l’homme
n’est que la conséquence de la structure inégalitaire et injuste de
la société.
On retrouve ici une conception toute rousseauiste de la
nature humaine, fondamentalement bonne et corrompue par les
structures sociales et politiques.
Ce
débat
est
encore
d’actualité
aujourd’hui.
Aux
environnementalistes pessimistes s’opposent les « optimistes ».
Les premiers alertent l’opinion publique et les pouvoirs politiques
sur les menaces qui pèsent sur l’avenir de l’espèce humaine et la
nécessité de changer les modes de vie et de production.
Les
seconds les accusent d’être des cassandres, des antihumanistes
vouant un culte païen à la nature et des antiprogressistes
incapables d’envisager les capacités d’adaptation des hommes.
Ecologie et société :
L’écologie est donc directement sollicitée par le rôle des sociétés
humaines et de leurs activités dans la dynamique et l’évolution
des écosystèmes qui constituent la biosphère.
Le géochimiste
russe Vernadsky (1929) fut un grand précurseur des recherches
dans ce domaine au début du 20ème siècle.
Rompant radicalement
avec une vision romantique de la nature, en approfondissant les
concepts de biosphère, d’écosystème, de cycle biogéochimique
puis de biodiversité et de service écosystémique, il ouvre la voie à
une révolution épistémologique qui bouleverse la notion d’écologie
et lui donne les bases scientifiques nécessaires aux réflexions et
aux recherches qui, à partir de la deuxième moitié du 20 ème siècle
vont nourrir les préoccupations et les inquiétudes sociétales.
La grande innovation scientifique de Vernadsky est de considérer
que la biosphère ne concerne pas seulement les êtres vivants mais
aussi tous les éléments du milieu au sein duquel se déroulent les
échanges de matière et d’énergie.
En prenant en considération les
interactions des êtres vivants avec les composantes physicochimiques du milieu, il fait de la biosphère un gigantesque
système dynamique formé par l’ensemble des écosystèmes.
Ce sont ces avancées scientifiques qui vont permettre une prise de
conscience au niveau planétaire des enjeux des considérations
écologiques sur nos modes de développement.
Elles ont fourni les
arguments à une abondante littérature qui, à partir de la deuxième
moitié du 20ème siècle, ont nourri le discours sur la notion de
« catastrophisme environnemental ».
Citons Osborne qui en 1948
dénonce les effets conjugués de l’explosion démographique et de
l’épuisement des ressources, puis Rachel Carson en 1962 fait le
constat alarmant de l’effet du DDT et des autres pesticides de
synthèse sur l’environnement et la biodiversité.
En 1968, l’ouvrage
de Paul Ehrlich « La Bombe P » aura un succès retentissant qui
marque l’émergence d’une nouvelle forme de pensée des
problèmes environnementaux : l’écologie politique.
Bien que
l’intérêt des français pour la nature soit moindre que celui des
allemands et des anglo-saxons, il faut noter les publications de
deux directeurs du....
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