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La responsabilité pénale des personnes morales

Publié le 31/10/2024

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« LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DES PERSONNES MORALES Selon Nicole Belloubet, ancienne Garde des Sceaux, “les personnes morales doivent répondre de leurs actes au même titre que les personnes physiques, car derrière elles se cachent des décisions humaines aux conséquences réelles”.

Le discours de l’ancienne ministre souligne la nécessité d’une responsabilité pénale des personnes morales, telles que les entreprises, au même titre que celle des personnes physiques.

Ce principe repose sur l'idée que même si une entreprise est une entité abstraite, elle est dirigée par des individus qui prennent des décisions, et ces décisions peuvent avoir des conséquences concrètes sur la société, l'économie, ou même l'environnement.

En 2020, Nicole Belloubet a insisté sur l'évolution du droit pénal des entreprises, notamment sur le renforcement de la responsabilité des entreprises dans des domaines comme les infractions environnementales, la fraude ou encore la corruption.

L'idée est de responsabiliser les entreprises face à leurs actes et de les soumettre à des sanctions judiciaires proportionnées à leurs fautes. En partant du postulat d’Emmanuel Dreyer selon lequel les personnes morales n’ont ni chair ni sang, pourtant elles ont des organes, elles n’ont pas de sentiments, pourtant elles ont une volonté, il apparaît d'emblée que leur appréhension en matière de responsabilité pénale pose un certain nombre de défis, rendant son étude complexe.

Le Doyen Jean Carbonnier met le doigt sur un débat ancien entre théorie de la fiction et théorie de la réalité, en effet il définit la personne morale comme une création du droit, une fiction juridique à laquelle on prête la capacité de posséder des droits et des obligations, indépendamment des individus qui la composent (Jean Carbonnier, Droit civil, PUF, 24e éd., 2007).

En effet, une personne morale est, en principe, un groupement de personnes ou de biens doté de la capacité juridique lui conférant, notamment des droits, comme celui d’ester en justice, ainsi qu’un patrimoine propre et des obligations, comme celle de répondre de ses actes lorsqu’ils créent des dommages. D’après Robert Merle, la responsabilité pénale est l'obligation pour une personne, physique ou morale, de répondre de ses actes devant la justice pénale, lorsque ceux-ci sont constitutifs d'une infraction, entraînant des conséquences juridiques telles que des sanctions pénales.

(Roger Merle et Alain Vitu, Droit pénal général, 11e éd., 2022.) Nous ne détaillerons pas le droit ancien et commencerons notre étude à l’aube du nouveau Code pénal de 1994. Alors que la responsabilité pénale des groupements (par exemple des villes ou des corporations) n’était pas inconnue sous l’Ancien Régime, elle n’est réapparue, après la Révolution française, qu’avec le Code pénal de 1992 : jusqu’alors, elle n’était pas légalement prévue dans la mesure où l’adage “societas delinquere non potest” prévalait (Cass.

crim., 2 décembre 1980, n°79-91-096) ; hormis dans un nombre négligeable de cas très particuliers.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a permis la sanction des entreprises de presse impliquées dans des actes de collaboration (Cass.

crim., 7 mars 1918, pourvoi c/ CA Aix).

Des expédients avaient néanmoins été instaurés.

L’article L4741-2 du Code du travail, introduit en 1976, permet de sanctionner une personne morale par une amende en cas d’homicide ou de blessures involontaires, mais cette disposition reste insuffisante car l’infraction est alors imputée au dirigeant, bien que la personne morale soit celle qui paye (article L4741-2 du Code du travail).

Une disposition similaire fait office de responsabilité des entités morales au sein du Code de la route, le paiement de l’amende peut être prononcée pour certaines infractions contre un salarié à la charge de son employeur, qui peut être une personne morale (article L121-1 alinéa 2 du Code de la route).

D’ailleurs, Emmanuel Dreyer propose d'abroger ces articles, les considérant désormais en "double emploi" avec la responsabilité pénale des personnes morales. En outre, les personnes morales peuvent faire l’objet depuis longtemps de sanctions civiles, administratives ou fiscales.

Pourtant, en 1934, le projet de loi “Matter” proposait de consacrer la responsabilité pénale des personnes morales, mais cette idée fut écartée au nom du pragmatisme du droit pénal.

Divers problèmes ont freiné l’adoption de cette responsabilité, notamment l’argument selon lequel les peines applicables aux personnes morales n’étaient pas adaptées.

Emmanuel Dreyer réfute cette idée, affirmant que des sanctions telles que la dissolution, la fermeture temporaire ou permanente d'un établissement, ou encore l’amende, ont un effet préventif et intimidant équivalent à celui des mesures prononcées contre des personnes physiques.

De plus, certains craignaient que les conséquences des sanctions sur l'entreprise affectent des associés et salariés étrangers à la faute commise ; or, l'objectif est justement d'inciter chaque membre de l’entreprise à surveiller efficacement l’activité de la personne morale. L'émergence de la délinquance d’affaires a également conduit à une recommandation au niveau européen et international dès 1950, favorisant son aboutissement, de la responsabilité pénale des personnes morales.

Le débat - selon lequel les personnes morales peuvent être soit fictives, c’est-à-dire que la personne morale est une entité sans substance réelle, soit réelles, c’est-à-dire que la personne morale est dotée d’une capacité d’action et de volonté - a alors été de nouveau abordé.

La Cour de cassation a pris parti pour la théorie de la réalité des personnes morales, avant même le législateur.

En effet, elle reconnaît la personnalité morale des comités d’établissement et juge que “la personnalité civile n’est pas une création de la loi” mais “appartient, en principe, à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes, par suite, d’être juridiquement protégés” (Cass.

2è civ., 28 janvier 1954, n°54-07.081).

Avec la réforme du Code pénal en 1992, on est passé définitivement de la théorie de la fiction à celle de la réalité, reconnaissant que, par l'intermédiaire de leurs organes ou représentants, les personnes morales peuvent posséder une intelligence et une volonté, et sont donc susceptibles d’être reconnues coupables d’infractions (article 121-2 du Code pénal). L’étude de la responsabilité pénale des personnes morales revêt un intérêt majeur, tant sur le plan théorique que pratique.

En effet, sa mise en place a été un processus complexe, jalonné de débats juridiques intenses.

Historiquement, la reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales a suscité des réticences et des controverses, car elle remet en question les fondements mêmes de la responsabilité pénale traditionnelle, centrée sur l'individu.

Les réformes législatives successives, notamment celles introduites par la loi de 1994 et poursuivies par la loi Perben II du 9 mars 2004, complétées par la loi du 4 janvier 2010 relative à la lutte contre la corruption, ont marqué des avancées significatives, mais elles ne sont pas si anciennes et témoignent des évolutions encore en cours dans ce domaine.

Ce constat met en lumière l'actualité de la problématique, alors que les enjeux liés à la responsabilité pénale des personnes morales, notamment en matière de lutte contre la fraude, la corruption ou les atteintes à l'environnement, sont plus que jamais présents.

De plus, cette réflexion doit se confronter au principe selon lequel il n'y a pas de responsabilité du fait d'autrui en droit pénal général, et il est impératif que les peines infligées soient compatibles avec les spécificités des entités morales.

La manière dont la société appréhende cette question révèle ainsi des évolutions législatives et doctrinales en perpétuelle mutation, faisant de ce sujet un axe de réflexion incontournable dans le cadre du droit pénal contemporain Ainsi, dans quelle mesure la responsabilité pénale des personnes morales permet-elle de sanctionner efficacement des entités collectives tout en tenant compte de leur spécificité juridique ? Afin de répondre à cette question, il conviendra d’étudier premièrement l’efficacité de la responsabilité pénale des personnes morales afin de retracer l’émergence de cette dernière (I), pour ensuite étayer la mise en œuvre délicate d’un tel processus (II). I.

L’efficacité contestée de la responsabilité pénale des personnes morales L’efficacité de la responsabilité pénale des personnes morales est conditionnée à son admission (A) et à une prise en compte du particularisme de ces entités (B). A.

Une admission progressive de la responsabilité pénale des personnes morales La reconnaissance de la responsabilité pénale revêt une dimension politique essentielle, fondée sur des enjeux sociaux et moraux.

La doctrine s’est souvent divisée sur ce sujet, laissant place à de grandes critiques sur son admission progressive.

D’après Stéphane Détraz, il ne faut pas passer sous silence que cette responsabilité présente aussi un avantage d'ordre financier, les groupements étant souvent plus solvables que leurs dirigeants physiques.

L'État peut donc plus facilement obtenir un gain financier sous le prisme de l’amende en puisant dans leur patrimoine, et les victimes peuvent plus aisément obtenir réparation directement auprès de ces entités.

La personne morale cesse ainsi d'être vue uniquement comme un sujet de droit à sanctionner, et devient plutôt un patrimoine à mobiliser afin que l'amende soit adaptée à la gravité des faits et aux ressources indirectes des responsables ou bénéficiaires ou un risque à maîtriser en limitant ou supprimant les possibilités d'action offertes par le groupement.

Il est également utile de rappeler que la personnalité juridique n'a jamais été nécessaire pour permettre la confiscation, la fermeture ou la dissolution d'animaux, d'établissements ou de groupes de combat..... »

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