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La justice et le droit

Publié le 13/02/2023

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« LA JUSTICE ET LE DROIT I La justice : une notion confuse La justice est une notion prestigieuse, mais confuse.

Elle occupe dans le domaine de la pratique une place équivalente à la vérité dans le domaine de la connaissance. Depuis l’enfant qui proteste contre l’injustice dont il pense être victime (« c’est pas juste ! ») jusqu’à la représentation du jugement dernier censé récompenser les vertueux et châtier les pêcheurs, en passant par les multiples affaires de justice, les commentaires sur les dysfonctionnements de l’institution judiciaire, les références à la justice sont nombreuses et fort variées.

Toutes les guerres, toutes les convulsions de l’histoire se sont toujours faites au nom de la justice.

Elle apparaît comme une valeur universelle invoquée pour protéger l’ordre établi ou justifier les bouleversements révolutionnaires.

Proudhon 1 écrit : « La justice gouverne le monde […].

La justice est ce qu’il y a de plus primitif dans l’âme humaine, de plus fondamental dans la société, de plus sacré parmi les nations et que les masses réclament aujourd’hui avec plus d’ardeur.

» Mais l’intensité affective attachée à la notion et les multiples usages du terme en troublent le sens et font douter de la possibilité de parvenir à une claire définition.

La notion est en elle-même polysémique (elle a plusieurs sens), équivoques, écartelée entre moralité (c’est-à-dire conformité des actions ou de la conduite au ‘‘bien’’) et légalité (c’est-à-dire conformité des actions ou de la conduite à la loi). II Les différents sens de la justice La justice comme moralité L’émergence de l’idée de justice dans la Grèce antique la fait apparaître comme la plus haute instance de régulation, une valeur divine à laquelle se mesurent tous les comportements, toutes les décisions des hommes et toutes les autres valeurs.

La justice tient sa valeur normative de son appartenance au monde divin, et agir selon la loi morale éternelle, supérieure à toutes les lois écrites de la cité, c’est participer à cet ordre divin. Être juste constitue la plus haute exigence morale.

La justice est la vertu par excellence, la source de toutes les autres vertus, celle qui détermine la moralité des intentions et des actions. La justice comme harmonie Platon expose dans La République (qui porte en sous-titre De la justice, ou Du juste) que la justice n’est pas une vertu parmi d’autres, mais ce par quoi les vertus sont des vertus : les actions courageuses ne sont telles que par la justice.

Dès lors que l’on est juste, on possède toutes les vertus.

Il établit ainsi un lien étroit entre justice et philosophie (amour de la sagesse) : le choix de la justice est identique à celui de la sagesse, et tous deux sont le choix 1 Pierre Joseph Proudhon (1809-1865), idéologue français, considéré comme le ‘‘père de l’anarchisme’’. de la raison.

La justice assure le gouvernement de soi, la santé et l’harmonie de l’âme.

Pas plus que la justice n’est une vertu parmi d’autres, elle n’est la vertu spécifique d’une partie de l’âme.

Selon Platon, l’âme est tripartite (une partie désirante, une partie irascible ou courageuse et une partie raisonnable), et la justice instaure un rapport harmonieux entre ces différentes parties.

La justice ou l’injustice dans l’âme dépend du rapport entre les parties, de la hiérarchie, et du respect par chacune des composantes de la fonction et de la situation qui découle de sa nature : ainsi, l’injustice est-elle liée au renforcement de la partie désirante dont la nature est d’être soumise.

Justice et injustice supposent en l’homme une pluralité de parties ; dès lors peuvent-elles être imputées à l’homme dans sa totalité ou seulement à l’une de ses parties, juste ou injuste. Mais la justice ou l’injustice, comme qualité ou disposition interne, n’est-elle pas qu’un usage métaphorique du terme ? La justice comme légalité La justice ne se réduit pas à une qualité morale, elle a nécessairement une dimension sociale, parce que la moralité présente une importance fondamentale pour tout ordre social.

Comme l’affirmait Aristote, la justice est « vertu achevée parce que celui qui la possède est capable de la pratiquer envers autrui et pas seulement envers lui-même » (Ethique à Nicomaque, V, 3). Selon lui, la justice est surtout destinée à régler nos rapports à autrui.

Toutes les autres vertus, le courage, la tempérance, même si elles ont toujours des conséquences indirectes externes, sont des vertus intérieures, qualités propres à une personne, tandis que la justice est une vertu communautaire : ce qu’évoque la justice est toujours une idée d’ordre, d’harmonie, mais à l’échelle d’une communauté.

Si l’homme est par nature un animal politique, il ne peut atteindre sa fin la plus élevée que par la vie en commun, et la justice vise un bien commun. Elle est cette disposition à accomplir des actions qui « produisent et conservent le bonheur et les éléments de celui-ci, pour une communauté politique (ibid.).

On est alors amené à s’interroger sur l’organisation sociale la plus apte à instaurer un ordre social juste. La question éthique débouche sur une dimension politique.

A la justice dans son sens général doit encore s’adjoindre une définition de la justice comme catégorie juridique.

La justice est aussi une vertu particulière qui relève du registre du droit : le juste se définit comme celui qui respecte la loi et l’égalité.

L’homme juste est celui qui a l’habitude de ne pas prendre plus que sa part des biens, ni moins que sa part des charges et travaux.

Vertu morale individuelle de l’homme qui se conforme au bien, la justice devient donc notion politique lorsqu’elle règle les conditions du respect de l’égalité de tous les hommes ou lorsqu’elle répare les situations d’inégalité (justice des tribunaux).

Mais si elle consiste ainsi à régler et à veiller au strict respect de l’égalité des personnes (les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous), la vertu, la fonction ou encore le rôle propre de la justice est, comme l’explique Aristote dans Les Politiques, d’introduire cet ordre juridique même, ou cette organisation de la communauté humaine selon des lois : la justice, c’est autrement dit un ensemble de règles ou de lois qui régissent les rapports entre les hommes, et en font, par là même, une communauté organisée, c’est-à-dire une communauté politique.

Elle désigne donc à la fois une situation, un état des choses (celui du respect strict des normes : la justice existe quand les lois communes sont strictement respectées) et une fonction (c’est elle qui constitue les hommes en communauté politique, en organisant leurs relations selon des règles). C’est ce double aspect de la justice (comme fonction constitutive de la communauté politique et comme situation du strict respect de la loi qu’on distingue, depuis Aristote, par les concepts de justice distributive et de justice commutative : - la justice distributive (ou proportionnelle), dont le principe pourrait s’énoncer : « à chacun selon son mérite », consiste en la répartition et l’attribution ‘‘rationnelle’’, c’est-à-dire selon des principes, des pouvoirs sociaux en fonction de l’excellence politique de chacun, c’est-àdire de la plus grande compétence à décider, à juger ou à administrer.

« Le pouvoir au plus sage » : tel est le principe universel de toute constitution excellente, c’est-à-dire vertueuse, car conforme à la raison, déclarait Aristote ; - la justice commutative, dont le principe pourrait s’énoncer : « à chacun la même chose », consiste dans le contrôle de l’égalité de tous, c’est-à-dire de la réciprocité des droits et des devoirs de chacun ; cette justice commutative devenant corrective, lorsqu’un délit a détruit l’égalité ou le rapport de réciprocité des droits et des devoirs entre les hommes (justice des tribunaux). Mais il y a là un paradoxe.

Selon les mérites, le travail, la compétence ou les besoins, il peut être juste de ne pas attribuer à chacun une part égale, donc de créer une inégalité pour établir l’égalité (il serait, par exemple, considéré comme injuste de rétribuer autant une personne qui travaille nettement moins qu’une autre, mais juste de la rétribuer moins).

De même, la réparation du délit conduit à pénaliser le coupable, à créer une inégalité qui le fait payer au nom de l’égalité.

Il faut donc aller plus loin dans l’analyse de l’égalité entre des personnes. Suffit-il de.... »

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