Doit-on inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution ?
Publié le 26/10/2023
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Doit-on inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution ?
Introduction:
“Et, comme d'habitude, il était impossible de déterminer si l'avortement était interdit
parce que c'était mal, ou si c'était mal parce que c'était interdit.
On jugeait par rapport à la
loi, on ne jugeait pas la loi.”
Cette citation est un extrait de l’ouvrage L'Événement d’Annie Ernaux, un livre
illustrant la morale religieuse qui restreignait les femmes à disposer de leur corps, dans les
années 1960 au sein de la société française.
Une période où une femme mourrait tous les
jours des suites d’une IVG illégale.
En 1975, l’Etat français adopte la loi Veil, une loi historique encadrant une
dépénalisation de l'avortement en France.
Le 25 juin 2022, la parlementaire Aurore Bergé
déposait une proposition de loi afin d’inscrire le droit à l’IVG dans la C°, au lendemain de la
suppression de l’arrêt Roe Against Wade, protégeant autrefois l’accès à l’IVG de manière
légale aux EU.
Constitutionnaliser le droit à l’avortement est un acte significatif.
Norme
fondamentale de l’Etat, dans lequel toute norme inférieure doit être conforme au contenu
de cette dernière selon la hiérarchie des normes de Hans Kelsen, elle contient les règles qui
organisent le pouvoir de l’Etat français mais aussi relatives aux Droits de l’Homme.
Nous avons évoqué précédemment le terme de droit à l’IVG.
Or il y a un mois,
Emmanuel Macron annonçait qu’un projet de loi serait présenté prochainement pour faire
inscrire dans la Constitution la liberté de disposer de l’IVG.
Mais inscrire la liberté d’avorter
dans la C° s’apprenterait davantage à un principe moral et éthique tandis que
constitutionnaliser le droit à l’avortement se relèverait être une meilleure protection
juridique et institutionnelle pour l’accès à l’IVG.
Si l’IVG est aujourd’hui légal en France, pourquoi vouloir inscrire alors ce droit dans la
C° ? Qu’est ce que cela pourrait concrètement apporter comme avancée en France ? Ces
interrogations démontrent l’existence d’un paradoxe sur la question du droit de l’IVG, et
donc que ce droit n’est pas acquis.
Ainsi il s’avère légitime de se demander: pourquoi peut-on affirmer que le droit
d’accès à l’IVG est-il menacé en France au point qu’il nécessite d’être constitutionnalisé ?
Après avoir fait un état des lieux des libertés individuelles incomplètes en France sur
la q° d’accès à l’IVG, nous observons que la question du commencement de la vie au est un
enjeu majeur au centre du débat de la légalisation de l’IVG.
Enfin nous nous pencherons sur
la scène internationale, exemple type de la restriction des femmes à disposer de leur corps
librement.
I - État des lieux des libertés individuelles incomplètes en France sur la question
d’accès à l’IVG
A - Le Libéralisme Politique français au service du droit à l’IVG
Le dépénalisation de l’IVG en France est l’un des exemples illustrant l’action de notre
État libéral pour la protection des libertés individuelles car ce droit d’accès soulève de
nombreuses libertés: dont le principe de libre disposition de son corps.
Et c’est justement le respect de libertés existentielles telles que celle-ci, qui justifie
que nous pouvons parler d’un droit d’accès à l’IVG.
Notons que « droit à disposer son corps »
est une conception qui ne date pas d’hier car elle est en étroit lien avec les thèses libérales
de John Stuart Mill, philosophe et penseur libéral du XIX ème siècle mais qui revendiquait
pourtant déjà ce droit.
« Le goût d’une personne est son affaire, au même titre que son opinion ou sa bourse.
Il
s’agit d’étendre cette tradition argumentative à un choix crucial pour la conduite de la vie
personnelle des femmes concernées »
(John Stuart Mill, De la liberté, Gallimard, Paris, 1859)
Cependant, l'existence de la controverse actuelle autour du droit à l’IVG pour les
religieux, illustre l’impossibilité pour le libéralisme politique de mettre entre parenthèses les
convictions religieuses des individus au sein d’un régime axé sur les libertés publiques et
individuelles.
Et donc, par la suite, l’obligation pour la France d’imposer une conception
laïque sur un sujet entravant la conception religieuse, quitte à la constitutionnaliser, dans un
souci de préserver les libertés individuelles de chacun.
L’Etat a donc bel et bien un rôle à jouer dans ce combat pour les libertés individuelles
car constitutionnaliser le droit à l’IVG permettrait ici de le protéger le plus possible afin que
l'entièreté des femmes en bénéficient et que leur accès ne soit plus jamais restreint.
Un autre enjeu sous-jacent peut-être aussi relevé: désormais ainsi une liberté à
disposer de son corps, l’avortement consiste t’il aussi en une libération ?
« L’avortement n’est pas seulement une affaire de femmes mais une question de liberté
individuelle et collective […] Pour autant est-ce une libération ? […] Penser l’avortement
comme une libération résulte plutôt d’une confusion entre la fin et les moyens, car si le
droit à l’avortement est effectivement une libération, l’avortement lui-même est un acte
empreint d’une certaine gravité, un choix entre deux maux, un dernier recours […] C’est le
droit de n’être mère qu’à son gré qui constitue la véritable émancipation »
(Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, spécialistes de l’histoire des femmes dans
Histoire de l'avortement, 2003)
B - Le contrôle médical: une limite à disposer de son corps en son entièreté
Cependant, ce droit garanti au sein de notre Etat libéral rencontre des limites par le
biais de l’instance moralisatrice qui est le contrôle médical.
Garanti par la loi sur
l’interruption volontaire de grossesse, on observe cependant que l’IVG est limité par la
clause de conscience (stipulant qu'un médecin n’est jamais tenu de donner suite à une
demande d’interruption de grossesse ni de pratiquer celle-ci si ses croyances ou valeurs ne
le lui permettent)
Au sein des “dossiers guide”, remis par le personnel de santé aux patientes
souhaitant avorter afin de leur apporter des renseignements divers et variés, la morale est
toujours présente.
En effet y sont intégré des extraits de la loi tels que l’article 4 L162.3:
❖ “Le médecin sollicité par une femme enceinte en vue de l’interruption de sa
grossesse doit, dès la première visite :
➢ 1°) Informer celle-ci des risques médicaux graves qu’elle encourt pour
elle-même et ses maternités futures, et de la gravité biologique de
l’interruption qu’elle sollicite ;
Indirectement est mise en place une démarche pour que la femme soit obligée de
prendre connaissance du sens moral médical attribué à l’IVG par la loi: on cherche à la
blâmer en qualifiant sa demande médicale de “gravité biologique”
Car l’avortement peut bel et bien représenter un type de déviance morale légale qui
expose les femmes à des formes de sanction non institutionnelles pour certains membres du
personnel médico-social.
Ces derniers qui disposent de la morale comme objet de
compétence (visible à travers la légalisation de la clause de conscience) qui leur est
socialement reconnue et s’érigent ainsi en tant qu’« entrepreneurs de morale » (à l’image du
livre éponyme de Howard S.
Becker, 1985).
Enfin, autre élément illustrant le contrôle médical moralisateur qui est visible au sein
du rapport parlementaire de 2020 de Mesdames Battistel et Muschotti concernant le droit à
l’avortement, soulignait que près de “3% des généralistes et gynécologues et des
sages-femmes” installés en cabinet pratiquent l’avortement.
Quant au Planning Familial
Français, ce dernier estime que ce seraient 130 centres d’IVG depuis 15 ans qui auraient
fermé les portes de leur établissement.
La liberté accordée aux femmes de disposer de leur corps s’inscrit finalement dans le
cadre d’un contrôle par le corps médical, objectif de base lors de la mise en place de la loi
Veil afin de résoudre un problème de santé publique.
Un droit qui n’est finalement pas tant
acquis que cela et qui fait encore objet de débats.
II - La question du commencement de la vie au centre du débat de la légalisation de
l’IVG
A - La Religion Chrétienne: une volonté de restreindre les droits des femmes qui s’illustre à
travers des arguments confus et archaïques
Le principe sacré et absolu du respect de la vie est sur lequel repose la position de la
hiérarchie catholique.
Il est prôné, notamment à travers le sixième commandement : « Tu ne
tueras point ».
Réputé ouvert, le pape François a d’ailleurs affirmé, en octobre 2018, que
l’usage de l’avortement était de même nature qu’un crime sur commande :
« Est-il licite d’éliminer une vie humaine pour résoudre un problème ? Est-il licite
d’embaucher un tueur à gages pour résoudre un problème ? Aucun être humain ne peut
être considéré comme incompatible avec la vie »
Un enfanticide même.
L’Eglise estime qu'il y a être humain par la rencontre d'un
spermatozoïde et d'un ovule, ce qui revient à faire du biologique le fondement du droit à
vivre, sans donner d’explication sur la conception de l’Eglise sur les spermatozoides et les
ovules.
L’embryon est donc une vie humaine et une personne au sens moral et
constitutionnel et qu’il faut la protéger, même en cas de viol ou même si la vie de la mère
est en danger.
Ce principe sacré de la vie humaine dans le....
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