Contentieux pénal de la commande publique
Publié le 19/12/2022
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Contentieux pénal de la commande publique
Sommaire
Sommaire ................................................................................................................................................
2
INTRODUCTION .......................................................................................................................................
3
Chapitre préliminaire.
L’irruption du droit pénal dans la commande publique .....................................
4
Première partie : Le droit pénal des acteurs publics...............................................................................
8
Chapitre I : La responsabilité dans la commande publique ................................................................
9
Section I : Le droit pénal en question..............................................................................................
9
Section II.
Les manquements aux règles relatives à la passation des marchés ............................
15
§ 1.
Détermination des caractéristiques des infractions formelles ......................................................
16
§ 2.
Détermination des caractéristiques des infractions matérielles....................................................
16
Section 3 : Les autres types de responsabilité ..............................................................................
18
Chapitre II : La spécificité des personnes juridiques concernées......................................................
19
Section I : La responsabilité personnelle.......................................................................................
19
Section II : Le principe de la responsabilité pénale des personnes morales.................................
22
Seconde partie : Les infractions à la commande publique....................................................................
23
Chapitre 1er : Les atteintes commises par des agents publics...........................................................
24
Section 1 : Les violations suspectes de la loi .................................................................................
24
Section 2 : L’exercice de fonctions incompatibles ........................................................................
31
Chapitre 2 : Les manquements avec bénéfices apparent .....................................................................
32
Section 1 : La corruption passive...................................................................................................
32
Section 2 : Le trafic d’influence passif...........................................................................................
36
3
INTRODUCTION
La relation entre le droit des marchés publics et le droit pénal est en constante évolution.
La pénalisation du droit des marchés publics poursuit un objectif de moralisation de l’action
publique et garantit le respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité
de traitement des candidats et de transparence des procédures par la sanction de leur
manquement.
Communément défini par l’ensemble des dispositions répressives qui sanctionnent la
méconnaissance du droit des marchés publics et des concessions, le droit pénal de la commande
publique n’a jamais fait l’objet d’une appréhension globale spécifique de la part du législateur.
Son
contenu actuel résulte d’une part de l’influence des règles de passation des marchés et
concessions, récemment modifiées par le nouveau code pénal de 2018, d’autre part de l’adoption,
récente ou projetée, de dispositions visant plutôt les agents publics et renforçant la prévention
des conflits d’intérêts et la déontologie des fonctionnaires.
Le droit pénal a désormais saisi les affaires publiques.
Ce cours se situant à
l'intersection du droit des affaires publiques et du droit pénal a pour objectif de présenter
l'architecture complète d'un droit pénal de la commande publique.
La pénalisation des affaires
publiques reste, en effet, un mouvement peu exploré par la doctrine, ou toujours sous l'angle du
délit d'octroi d'avantage injustifié.
L'imprécision des statistiques pénales en ce domaine, l'absence
de volet économique et financier dans le code pénal, le nombre relativement élevé de décisions de
justice non diffusées ou encore l'absence de formation spécifique des magistrats révèlent que
l'émergence d'un droit pénal directement applicable aux affaires publiques n'a pas été construit
comme un champ de connaissance spécifique.
Les réformes entreprises dans l'objectif de
sécuriser les acheteurs publics obligent le chercheur à une remise en perspective constante du
phénomène de pénalisation au regard des nouvelles données apportées par la réglementation des
affaires publiques et les contentieux administratifs et financiers s'y afférents.
Si l'irruption du juge pénal dans le secteur des affaires publiques correspond à des
profonds dysfonctionnements dans les rapports entre l'argent public et le droit des contrats et à
une réalité sociale dominée par le culte de l'argent, le phénomène de pénalisation correspond
donc à une réalité juridique qu'il convient de définir.
4
Chapitre préliminaire.
L’irruption du droit pénal dans la
commande publique
La notion de pénalisation recouvre des réalités très différentes et se rattache tant aux actes
commis volontairement, intentionnellement ou frauduleusement qu'à ceux commis par
négligence ou imprudence.
Cependant, toutes les infractions commises dans l'exercice d'activités
des affaires publiques, notamment des marchés publics ne se constituent pas au stade de la
préparation ou de la passation du marché.
A côté du respect des principes de transparence, de
concurrence et de neutralité dans l'attribution des marchés publics, s'ajoute le respect du principe
de prudence dans l'exécution du marché.
Ce principe de prudence invite le décideur public
comme l'entrepreneur à être particulièrement attentifs au respect des règles d'hygiène et de
sécurité sur les chantiers.
Si le mouvement de pénalisation pour les infractions non
intentionnelles se distingue de celui lié à la corruption, la pression pénale engendrée par les
poursuites pour manquements aux obligations de sécurité et de prudence fortement retracées par
la presse et le caractère complexe du délit de favoritisme à la frontière du délit matériel justifiait
de tenir compte, dans la réflexion, des différentes facettes de la pénalisation.
I.
Les difficultés et défis particuliers du juge pénal
La cartographie des différentes infractions liées aux affaires publiques montre qu'il
n'existe pas véritablement un arsenal répressif propre aux affaires publiques.
L'arsenal répressif
mis en place oblige ainsi non seulement à connaître la réglementation mais aussi à connaître les
moyens et les méthodes de travail des professionnels qui cherchent à se situer dans les zones les
moins contrôlées ou dans celles les plus difficilement contrôlables.
Pour mieux appréhender les atteintes à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans
les marchés publics, l'avènement de la loi n°2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la
corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et d’autres textes
postérieurs ont donné au juge pénal de nouveaux pouvoirs pour une plus grande liberté
d'appréciation.
La pénalisation du droit des affaires publiques incite dès lors à exposer de manière
dynamique de quelle manière le juge pénal va examiner les moyens utilisés par les praticiens pour
atteindre les objectifs économiques fixés et leur conformité au droit des affaires publiques.
A.
La pénalisation comme dispositif de protection
Le travail du juge pénal sera d'autant plus difficile que les infractions ont un caractère très
technique qui repose sur une réglementation complexe.
Dans le domaine des marchés publics,
par exemple, la très grande diversité des agissements constatés ont pour point de départ une
mauvaise définition des besoins qui entraîne l'acheteur public vers un choix trop emprunt de
subjectivité suspecté alors de favoritisme.
Le juge devra ainsi trancher de l'existence ou non d'un
favoritisme en se fondant sur la traduction des besoins à satisfaire : plus le décideur public
exprimera de façon rigoureuse son besoin, moins il y aura de risque de constitution du délit de
favoritisme.
La précision et l'exhaustivité des exigences contribuent, en effet, à s'assurer
ultérieurement de la bonne exécution du marché.
Le champ d'application de la répression est également très large, la qualité des personnes
susceptibles d'enfreindre le droit des marchés publics étant très diverse.
Cette répression ne
concerne pas seulement l'auteur ou le coauteur de l'infraction mais également toutes les
5
personnes, qui, à des degrés divers (complicité ou recel), ont commis les faits constitutifs des
infractions telles que de délits de favoritisme, de prise illégale d'intérêts ou de corruption.
La répression des manquements aux devoirs d'impartialité, de probité et de prudence est,
par ailleurs, une répression spéciale dans la mesure où elle ne concerne que quelques acteurs de
l'achat public et précisément ceux visés par le Code pénal par l'appellation de “ personnes
dépositaires de l'autorité publique, chargées d'une mission de service public ou investies d'un
mandat électif public ”.
En pratique les peines prononcées concernent principalement les
personnes physiques susceptibles d'intervenir dans le processus de la commande publique.
Elles
peuvent néanmoins s'appliquer exceptionnellement aux personnes morales de droit public
comme de droit privé.
Cette question de la responsabilité pénale des personnes morales pour les
infractions commises dans l'exercice d'activités de marchés publics est une question nouvelle et
complexe.
La pénalisation du droit des marchés publics peut ainsi être perçue comme une
intervention du juge pénal dans la gestion publique locale, comme un jugement de valeur porté
sur le comportement des acteurs de l'achat public opéré par le juge répressif.
En effet, même si
l'acheteur public est en première ligne, le candidat malheureux ne cherche pas forcément à
obtenir la condamnation de la personne responsable du marché.
Il a besoin de savoir qui est
précisément à l'origine du manquement, pourquoi et comment.
Pour trouver les réponses à ces
questions et ainsi apporter la preuve des faits, le magistrat doit nécessairement apprécier de
manière concrète et détaillée les différentes phases du processus décisionnel de dévolution d'un
marché, le contexte de l'acte fautif et le périmètre d'action des agents publics afin d'identifier le
prévenu.
Or, au regard de la qualification imprécise du mouvement de pénalisation, une question
s'impose : quel est le degré d'autonomie dont le juge pénal dispose dans le jugement des questions
de droit administratif ?
B.
La pénalisation comme création d'une notion pénale
La pénalisation des affaires publiques a mis face à face deux mondes qui s'ignoraient
jusqu'ici : celui de la justice pénale et celui de l'achat public.
Le déficit de connaissances entre ces
deux mondes a pour effet d'inquiéter les acteurs de l'achat public en ce sens qu'ils redoutent que,
dans l'appréciation de la réglementation des marchés publics et de leur éventuelle violation, les
juridictions répressives s'écartent des règles tracées par la jurisprudence administrative et
provoquent ainsi l'émergence d'une notion pénale du marché public.
On laisse ainsi le soin au
juge pénal d'apprécier la portée du délit de favoritisme et d'adapter la répression à la situation
critique des activités de marchés.
1.
Le renforcement de la plénitude de juridiction du juge pénal
Investies d'une plénitude de juridiction renforcée par les code pénal et procédural, les
juridictions pénales ne s'estiment pas tenues, en effet, de renvoyer les questions préjudicielles au
juge administratif et s'attribuent en conséquence le pouvoir de qualifier les marchés publics à
l'origine des poursuites.
Instaurant ainsi une dualité des juridictions compétentes pour connaître
des marchés publics, l'irruption du juge pénal a non seulement pour conséquence de faire vaciller
les quelques éléments de certitude sur les notions mêmes qui fondent le droit de la commande
publique mais oblige également à remettre en cause les techniques d'application de ce droit dès
lors qu'elles sont susceptibles d'entraîner l'acheteur public vers le favoritisme.
Dans la mesure où
le juge pénal n'est pas, a priori, le juge naturel pour appréhender le mieux les atteintes à la liberté
d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics, la répression pénale est-elle en
conséquence adaptée au secteur des marchés publics ?
2.
Les inconvénients de la plénitude de juridiction
La pénalisation est tributaire des signalements portés à la connaissance des parquets.
La
plupart des actes frauduleux liés aux infractions sur les marchés publics sont par définition
6
consensuels et motivés par un intérêt mutuel.
Il en résulte que le juge d'instruction éprouve de
très grandes difficultés à recueillir des preuves fiables relatives à ces infractions.
Les infractions spécifiques peuvent ainsi être découvertes par des organismes spécialisés non
juridictionnels jouant un rôle compensateur du travail du juge comme l’Autorité nationale de lutte
contre la corruption (arts.
5 et 6 loi 2011 sur la lutte contre la corruption), les missions
interministérielle d'enquête sur les marchés publics et les conventions de délégations de service
public, les services de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des
fraudes.
Si la pénalisation a surtout pour effet de rendre le juge pénal maître de l'interprétation des
faits et donc juge de l'action administrative, il convient également d'analyser ce nouveau champ
du droit qui procède d'une logique individuelle et autonome par rapport aux systèmes de
contrôles existants dans le secteur des marchés publics.
II.
La pénalisation comme catalyseur des contrôles administratif et financier
Les affaires publiques représentent, par essence, une matière pluridisciplinaire se situant
au carrefour de plusieurs domaines où le droit doit servir une bonne gestion économique et
technique des affaires.
Les contrôles juridictionnels mis en place appréhendent ainsi les marchés
publics dans toutes leurs dimensions et implications : les sanctions administratives et financières
sont traditionnellement destinées à mettre en cause les institutions alors que les sanctions pénales
frappent la personne à l'origine du comportement fautif.
Le but ainsi recherché est de garantir
une sécurité juridique optimale dans les affaires publiques dans la mesure où l'instauration de ces
nombreux contrôles rend bien difficile la recherche des voies de l'impunité pour les délinquants.
Or, la pluralité des contrôles provoque, au contraire, un sentiment d'insécurité juridique, les
praticiens ne sachant plus comment se mouvoir dans les espaces de liberté accordés par les textes.
Faut-il alors remettre en cause le mouvement de pénalisation des affaires publiques à l'origine de
l'insécurité contentieuse ressentie par les professionnels ?
Le contrôle exercé par le juge pénal a eu une efficacité curative : il est venu remédier au
manque de contre-pouvoirs ou plus exactement est intervenu dès que les contrôles existants ont
manifesté des signes de défaillances face aux atteintes à la réglementation.
Si le droit pénal
présente un caractère thérapeutique, c'est parce que le droit des affaires publiques était, en réalité,
un droit pathologique, qui traversait une crise d'adaptation et qui appelait l'intervention énergique
d'un praticien en la personne du juge pénal.
La pénalisation a joué un rôle de catalyseur sur les
contrôles administratif et financier qui s'inscrivent davantage dans une logique préventive et
régulatrice et dont les sanctions sont désormais dotées d'une efficacité supplémentaire en raison
de la menace des sanctions pénales qui est brandie contre ceux qui se soustrairaient à leur
application.
Armée pour sanctionner, la pénalisation tire davantage sa force de sa stratégie de
dissuasion qui contraint à prendre conscience des difficultés inhérentes au processus de
dévolution d'un marché, de la dilution des responsabilités et oblige à remédier à ces difficultés.
Elle accompagne et encourage la mise en place de structures innovantes qui permettrait à l'action
publique d'être plus transparente et plus efficace.
Ce cheminement vers une meilleure définition
des objectifs et vers un meilleur dialogue interne témoigne ainsi de l'apport de la pénalisation à la
modernisation du fonctionnement des administrations.
L'apport essentiel de ce cours est donc d'avoir structuré un champ de connaissance
spécifique fédérant deux disciplines différentes qui avaient jusqu'alors évolué de manière séparée
et qui ne cessent désormais de s'entrecroiser au gré des modifications apportées à la
réglementation.
Les instruments fondamentaux de ce séminaire sont le nouveau Code pénal (Loi n°2018-26 du 28
décembre 2018, promulguée le 4 janvier 2019 et publiée le 14 janvier 2019) mais surtout la loi
7
n°2011 ‐20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes
en République du Bénin.
A titre d’exemple, la Loi n°2016 ‐ 24 du 11 octobre 2016 portant cadre
juridique du partenariat public-privé en République du Bénin relativement aux sanctions s’est
référée à ces deux instruments.
Son article 76 dispose : « Sans préjudice des dispositions du Code
pénal, la loi n°2011 ‐20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions
connexes en République du Bénin et le Code d’éthique et de moralisation des marchés publics
sont applicables dans le cadre de la présente loi ».
Il faut enfin préciser qu’à travers une décision
de la Cour constitutionnelle (DCC 17-039 du 23 Février 2017), les sept sages de la cour
constitutionnelle ont affirmé que la loi la loi N°2016-24 du 23 Février 2017 portant sur le
partenariat public privé (PPP) promulgué par le gouvernement ne peut être mise en œuvre en
l’état (art.
2).
Sur cette base, nous évoquerons tour à tour le droit pénal des acteurs publics (1ère partie) puis les
infractions à la commande publique (2nde partie)
8
Première partie : Le droit pénal des acteurs publics
L'organisation des marchés publics étant un système normé qui trouve dans ses règles sa
légitimité, sa cohérence et son ordre, les atteintes y relatives au niveau de la passation des marchés
ne devraient pas entraîner de condamnation automatique.
Il faudrait établir l'existence des
éléments constitutifs de l'infraction et le préjudice financier.
Or, dans la rigueur des principes
juridiques, et comme il a été démontré plus haut, il est difficilement envisageable à ce stade, c'està-dire avant l'exécution du marché, d'établir avec certitude les éléments constitutifs de cette
atteinte et le montant du préjudice réel, subi par la fortune publique du fait des agissements
irréguliers de ses auteurs.
Nous aborderons successivement la responsabilité dans la passation des marchés publics et la
spécificité des personnes concernées
9
Chapitre I : La responsabilité dans la commande publique
La base des marchés publics reposant sur le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse,
l'achat, en définitive, sera considéré comme effectué dans des conditions satisfaisantes au regard
des principes de la commande publique si les moyens de publicité utilisés ont permis aux
soumissionnaires potentiels d'être informés de l'intention d'acheter, manifestée par la puissance
publique, et du contenu de l'achat, en vue d'aboutir à une diversité d'offres.
La plus grande liberté de choix offerte aux acheteurs publics pour procéder à leurs achats a pour
nécessaire contrepartie leur responsabilisation.
C'est pourquoi il a été opéré un durcissement du
dispositif de protection des fonds publics dans ce domaine, manifesté par un renforcement des
contrôles existants, et des mesures de sanction sur le plan de la discipline budgétaire et financière,
sur le plan administratif et sur le plan pénal.
La pénalisation du droit de la commande publique s'imposant désormais dans le quotidien de
tous ceux qui interviennent dans ce processus, il nous a paru légitime de nous intéresser à un
aspect particulier de la sanction de cette activité : le stade de la passation, activité d'autant plus
exposée au risque de fraude qu'elle constitue une interface entre le secteur public et le secteur
privé, et peut donner aux différents acteurs de multiples possibilités de détourner des fonds.
Aussi le législateur a-t-il choisi de considérer de telles irrégularités comme constitutives d'atteinte
à la fortune publique.
Il importe d’examiner le droit pénal avant d’aborder les manquements à la commande publique.
Section I : Le droit pénal en question
§1 La définition de l’infraction et des principes fondamentaux qui en
découlent
Les sociologues, comme les criminalistes, ont proposé de l’infraction des
définitions nombreuses, parfois très savantes.
Elles ne sont pourtant pas bien satisfaisantes, car
elles s’inspirent souvent des tendances d’une école.
A.
La définition de l’infraction
L’infraction n’est pas définie à par le nouveau Code pénal béninois.
Cependant,
conformément à l’article 1er :
« Les infractions pénales sont classées selon leur degré de gravité en contravention, délit et crime.
L’infraction que les lois punissent de peines de police est une contravention.
L’infraction que les lois punissent de peines correctionnelles est un délit.
L’infraction que les lois punissent d’une peine afflictive ou infamante est un crime ».
Le législateur béninois divise les infractions en trois grandes catégories (contravention, crime,
délit) selon la gravité qu’il lui attribue.
Une infraction, cela peut être un fait, un comportement, un
acte de volonté, une négligence, une abstention, une omission, une imprudence, passible d’une
sanction punit par une peine.
10
Du point de vue juridique, on peut définir l’infraction comme « l’action ou l’omission,
imputable à son auteur, prévue ou punie par la loi d’une sanction pénale »
1
.
En d’autres termes, c’est un fait
interdit par la loi sous la menace d’une peine2
, imputable à son auteur.
Pris dans ce sens, l’infraction est souvent appelée délit.
Le mot est alors entendu dans sa
signification la plus large, car le délit, c’est aussi au sens étroit et précis une infraction d’une
gravité moyenne ou sérieuse.
Ainsi comprise, l’infraction pénale se distingue d’une part du délit civil, et d’autre part du
délit disciplinaire.
- Délit pénal et délit civil : alors que le délit pénal, au sens large, est un fait prévu par la
loi (meurtre, vol, abus de confiance, escroquerie … etc.) et sanctionné par elle d’une peine
(répression), le délit civil, d’après l’article 1382 du Code civil, est tout fait quelconque de
l’homme qui cause un dommage à autrui, et oblige son auteur à le réparer (réparation).
C’est donc à la fois par leurs éléments constitutifs et par leur sanction que diffèrent le
délit pénal et le délit civil.
Elément légal tout d’abord, puisque le délit pénal est un acte précis défini par un texte
spécial, tandis que le délit civil est constitué par n’importe quel fait dommageable causé par une
faute, même s’il n’est pas visé par un texte spécial.
Elément matériel ensuite, le délit pénal
pouvant exister indépendamment de la réalisation d’un dommage (simple tentative, délit manqué,
port d’armes prohibées), le délit civil supposant toujours au contraire la production d’un
préjudice.
Elément moral enfin, car si le délit pénal et le délit civil exigent également une faute, la
faute pénale et la faute civile, souvent identiques se distinguent parfois.
Ainsi, toute faute pénale
constitue une faute civile, mais à l’inverse toute faute civile n’est pas nécessairement une faute
pénale.
La sanction qui s’attache respectivement au délit pénal et au délit civil, permet également de les
séparer l’un de l’autre.
La sanction du délit pénal est une peine, celle du délit civil consiste dans la
réparation du dommage subi par la victime (dommages-intérêts).
- Délit pénal et délit disciplinaire : ces délits diffèrent entre eux par leurs éléments
constitutifs et par leur sanction.
Du point de vue de leurs éléments constitutifs, la faute disciplinaire consiste dans la violation des
règles particulières à des groupements restreints, sociaux ou professionnels (fonctionnaires,
magistrats, avocats, médecins, étudiants), mais la faute pénale résulte de la violation de la loi
pénale, applicable à tous les citoyens sans exception.
En ce qui concerne leur sanction, la faute pénale et la faute disciplinaire diffèrent encore.
La
première ne peut être punie que de peines prévues par la loi pénale encore, et prononcées par une
juridiction répressive.
La seconde entraîne l’infliction des mesures disciplinaires, concernant
exclusivement l’exercice de la profession (blâme, suspension temporaire ou interdiction définitive
de l’exercice de la profession).
Ces mesures disciplinaires sont généralement prononcées par des
juridictions disciplinaires (ex.
conseil supérieur de la magistrature pour les magistrats ; conseil de
l’Université pour les étudiants) ;
Ces définitions et comparaisons mettent d’abord en exergue les différents éléments
constitutifs de l’infraction ; ensuite, elle permet de réfléchir sur les différentes sortes
(classification) des infractions, et enfin du délinquant et de sa responsabilité.
Le code pénal prévoit 3 catégories d’infractions, avec une échelle de peine et de compétence :
les contraventions
1 Bernard BOULOC, Droit pénal général, Paris : Dalloz, 2007, n° 94.
2
Jean LARGUIER, Droit pénal général, Paris : Dalloz, 19ème édition, 2004, p.
12.
11
« les peines contraventionnelles encourues par les personnes physiques sont l’amende et les
peines privatives ou restrictives de droits.
Ces peines ne sont pas exclusives d’une ou
plusieurs des peines complémentaires ».
Les personnes morales sont susceptibles de se voir appliquer les mêmes sanctions.
les délits
« Les peines correctionnelles encourues par les personnes physiques sont l’emprisonnement,
l’amende, le jour-amende, le stage de citoyenneté, les peines privatives ou restrictives de droit
et les peines complémentaires ».
les crimes
Les peines criminelles encourues par les personnes physiques dont le maximum est la
réclusion criminelle à perpétuité ; c’est la cour d’assises qui est compétente.
B.
Les principes fondamentaux applicables
Les principes essentiels sont :
le principe de légalité des délits et des peines
C’est le siège de l’infraction.
De tous les principes consacrés par le droit criminel, le plus
important est sans doute celui de la légalité des délits et des peines, ou encore, selon son
expression latine, le principe nullum crimen nulla poena sine lege.
L’article 3 du nouveau Code pénal
béninois le formule ainsi : « Article 3 : Nul ne peut être poursuivi pour un crime ou pour un délit
dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou d’une contravention dont les éléments ne sont
pas définis par le règlement.
Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un
crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction est une contravention ».
Ce principe a une valeur constitutionnelle (art.
17 CB).
Aujourd’hui, le principe de la légalité des délits et des peines est affirmé à différents
niveaux : les constitutions3
, les traités internationaux4
, par les lois au travers des codes pénaux5
.
Traditionnellement, trois arguments militent en faveur du principe de la légalité.
Le principe se justifie d’abord sur l’intérêt des individus6
.
Le principe de la légalité
procède de l’affirmation selon laquelle l’homme possède naturellement des droits.
Il est libre et,
s’il concède une part de cette liberté à la société, cette part doit être clairement et précisément
définie.
Il n’y aurait pour eux ni tranquillité, ni liberté s’il pouvait être puni pour des faits dont il
3 Art.
17-2 de la constitution béninoise du 11 décembre 1990 ; le préambule de la constitution française du 4
octobre 1958 procédant à un renvoi aux droits garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
de 1789 (art.
8 DDHC), le principe de légalité qui y figure est donc une règle de valeur constitutionnelle.
4
Les grands textes internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels le Bénin et la France ont adhéré : la
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politique
de 1966.
Dans les cadres régionaux : la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, dont l’article 7
§ 1er, dispose que « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été
commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international.
De même, il n’est infligé
aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise » ; la Charte
africaine des droits de l’homme de 1981 (art.
7-2), dont l’ensemble des droits et devoirs font partie intégrante
du droit positif béninois (art.
7 de la constitution béninoise).
5 Au niveau législatif, le principe de la légalité criminelle est affirmé à l’article 4 du code pénal béninois, tandis
que dans le nouveau code pénal français, il est contenu dans deux articles.
L’article 111-2 posant la règle de
manière positive, et l’article 111-3 énonçant le principe d’une manière plus classiquement négative.
6 Pierre BOUZAT et Jean PINATEL, op.
cit., p.
144.
12
ne connaissait pas d’avance le caractère punissable, par des peines dont il ne pouvait davantage
mesurer la gravité7
.
Le principe se justifie de plus par l’intérêt de la société : l’indication dans la loi des
infractions, avec les peines qui les sanctionnent, est de nature à faire réfléchir ceux qui auraient la
tentation de les commettre, beaucoup plus que ne le feraient une infraction et une peine
hypothétiques que le juge aurait pouvoir d’établir ou d’écarter.
Au-delà, le principe de légalité des délits et des peines est l’application au droit criminel du
principe général de légalité, fondement de l’Etat de droit, qui exige que les pouvoirs des
autorités publiques soient définis par la loi : là réside le principe de la séparation des pouvoirs.
Le pouvoir d’incriminer est un attribut de la souveraineté.
Dès lors, il appartient au pouvoir
législatif, et non aux pouvoirs exécutif et judiciaire, le soin de définir les infractions et les
peines.
le principe d’interprétation stricte de la loi pénale
Il est prévu par l’article 4 du nouveau Code pénal et ce à tous les stades de la procédure.
« La
loi pénale est d’interprétation stricte.
En cas d’ambiguïté ou de doute, elle est interprétée en faveur de la personne qui fait l’objet d’une enquête ou de
poursuites.
Est interdite, l’interprétation par analogie des dispositions de la loi pénale ».
Désormais, « les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs,
réglementaires ou individuels et pour apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du
procès qui leur est soumis » (art.
5 nouveau Code pénal).
C’est pour le juge répressif que le principe de la légalité criminelle comporte les
conséquences les plus importantes.
Outre la qualification des faits, le principe de la légalité
impose au juge deux obligations principales : il doit respecter la loi et ne doit pas l’interpréter.
La règle « nullum crimen, nulla poena sine lege » comporte un corollaire traditionnel, à savoir
qu’en droit pénal l’interprétation doit être stricte, non extensive.
Interpréter un texte, c’est en
rechercher le sens pour en faire une application exacte, correcte.
Si le juge disposait d’une liberté
pour interpréter les textes pénaux, la certitude de la répression serait illusoire, puisqu’il serait par
exemple possible de condamner une personne pour des comportements qui sembleraient a priori
échapper à la répression.
Mais les termes de la loi sont souvent généraux, parfois, le législateur reste vague, imprécis
ou utilise des termes susceptibles de plusieurs interprétations.
Parfois encore, le texte comporte
des lacunes, des insuffisances, voire des contradictions.
Le juge, amené à appliquer les textes à des
cas concrets, doit alors interpréter des notions pour en préciser le sens.
La méthode d’interprétation exclut l’interprétation analogique.
Il s’agit d’une
interprétation extensive qui consiste à étendre le texte pénal à des faits non mentionnés par le
texte mais voisins de ceux qui y sont mentionnés est exclue en matière pénale.
Seul le législateur pourra, le cas échéant, modifier la rédaction de l’infraction ou en créer
une nouvelle pour pallier cette carence.
La Cour de cassation rappelle ainsi parfois au juge
répressif qu’il lui est interdit de procéder « par extension, analogie, ou induction ».
Ainsi, avant
l’incrimination du délit de la filouterie d’aliments, le fait de se faire servir un repas en se sachant
pas dans l’impossibilité de le payer n’était pas punissable.
On ne pouvait retenir ni le vol (les
aliments ne sont pas soustraits mais remis), ni d’escroquerie (le délinquant n’utilise aucune
manœuvre frauduleuse), ni l’abus de confiance (la chose remise n’avait pas vocation à être
restituée).
Et le juge ne pouvait élargir le domaine des incriminations existantes en raisonnant par
analogie.
Il a donc fallu recourir à des incriminations spéciales (art.
313-5 code pénal).
7
Ibidem.
13
Le juge doit toutefois surmonter les fautes de rédaction.
Par exemple, un texte de police
des chemins de fer de 1917 qui interdisait de descendre « ailleurs que dans les gares lorsque le
train est complètement arrêté ».
La Cour de cassation8
a corrigé cette erreur de syntaxe et
condamné le passager qui avait sauté du train en marche, en prétendant que le règlement l’y
autorisait ; ce texte n’a bien sûr pas été interprété comme obligeant les voyageurs à monter dans
le train ou de descendre de celui-ci en marche.
Ce sont là les principales conséquences du principe de la légalité criminelle pour le juge.
Pour autant, ce principe connaît aujourd’hui un déclin.
le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère
L’article 3 du nouveau code pénal dégage un principe de rétroactivité de la loi pénale plus
douce.
(Lecture a contrario)
Le principe de la légalité impose au législateur d’exercer effectivement son pouvoir créateur da la
norme.
Il fait naître en lui une obligation et une interdiction.
L’obligation est celle de légiférer des
textes précis ; l’interdiction concerne l’adoption de textes rétroactifs.
Le principe de légalité exige donc que l’infraction soit définie d’une manière relativement
claire et précise, définissant nettement les incriminations et indiquant sans erreurs possibles les
peines applicables.
Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, découlant de l’interprétation de l’article 4
du code pénal béninois, n’est en réalité que la reprise, en matière répressive, de l’article 2 du code
civil.
Une loi ne peut, à l’évidence, que régir l’avenir, car on voit mal comment il serait possible
de punir quelqu’un pour le non-respect d’un texte inexistant9
.
Toutefois, la question n’est pas
simple et ne saurait être cernée en des termes aussi simples.
Il existe souvent une loi, qu’une
nouvelle vient modifier ; laquelle des deux lois faut-il appliquer ?
La nécessité d’un élément légal pour l’existence d’une infraction est dominée par deux
certitudes et une difficulté.
Première certitude : l’impossibilité d’appliquer une loi pénale nouvelle
à des faits antérieurs à son entrée en vigueur.
Deuxième certitude : les faits commis avant son
entrée en vigueur, et qui ont été définitivement jugés, échappent à la loi nouvelle.
Quant à la
difficulté, elle concerne bien évidemment, les faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi
nouvelle, mais non définitivement jugés.
Ces situations en cours sont-elles soumises à la loi
nouvelle ou demeurent-elles régies par la loi ancienne, en vigueur au jour des faits ?
Seul le législateur peut déclarer une loi nouvelle rétroactive10.
En principe, la loi nouvelle
n’est pas applicable aux situations en cours, pour la simple raison que les faits ont été commis
antérieurement à son entrée en vigueur.
Mais le principe de non-rétroactivité est assorti, s’agissant
des situations en cours, de plusieurs exceptions.
Elles concernent les lois interprétatives, les lois
de forme et les lois pénales de fond plus douces.
Les lois interprétatives viennent clarifier le sens d’une loi antérieure obscure.
Ces lois
entrent en vigueur au jour de la loi qu’elles interprètent.
Mais elles rétroagiront et s’appliqueront
aux faits commis antérieurement, à condition toutefois qu’ils n’aient pas encore été
définitivement jugés.
Les lois qui ne modifient ni les caractéristiques de l’infraction, ni la
responsabilité de l’auteur, ni la fixation de la peine, mais qui sont relatives à la constatation et à la
poursuite des infractions, à la compétence et à la procédure, sont considérées comme les lois
pénales de forme.
Leur rétroactivité n’est qu’exceptionnelle.
Elles s’appliquent immédiatement,
même aux faits commis antérieurement à leur entrée en vigueur.
Il en est de même des lois
pénales plus douces.
8 V.
crim.
8 mars 1930, D.
1930, 1, 310, note VOIRIN.
9 Bernard BOULOC, Droit pénal général, Paris : Dalloz, 20ème édition, 2007, n° 144.
10 Voir par exemple l’article 17 de la loi du 3 janvier 1967, sur les ventes d’immeubles à construire.
14
§2 La notion de constitution d’infraction
L’infraction suppose donc la réunion de trois éléments constitutifs : l’élément légal, un
texte décrivant et réprimant l’acte interdit, l’élément matériel, la description de l’acte interdit et
l’élément moral, relatif à l’état d’esprit de l’agent.
Cette notion est caractérisée par 3 éléments,
cumulatifs :
matériel
moral
légal, c’est-à-dire qui est prévu par la loi
A.
Les éléments constitutifs
Il faut procéder à un examen détaillé des faits pour voir s’ils correspondent à une infraction.
Cette analyse est à la charge du parquet puis du juge d’instruction et ce bien avant l’instance de
jugement.
L’infraction en règle générale est composée de plusieurs éléments matériels.
En général, une infraction ne se réalise pas d'un seul coup.
Elle est le résultat de toute une série
d'efforts qui s'échelonnent depuis la simple pensée criminelle jusqu'à la consommation complète
du méfait.
Au fil de ce processus criminel, l'agent passe par des étapes successives, notamment la
phase préparatoire, et son exécution.
À la phase préparatoire, le délinquant qui a pris la décision de commettre l'infraction réunit des
moyens appropriés.
Par la suite, il passe à l'acte, et ne saurait logiquement être puni, que s'il a
commencé à exécuter l'infraction.
En effet, un acte ne devient punissable qu'à partir du
commencement d'exécution qui, dans le chemin criminel, intervient juste après les actes
préparatoires, lesquels demeurent en principe impunis, parce qu'ils sont trop éloignés de la
consommation du crime projeté pour révéler avec certitude l'intention criminelle de l'agent.
À
cette phase, le repentir est encore possible et il faut l'encourager.
Du reste, ce comportement sied
bien avec la définition de certains auteurs pour qui « les actes simplement préparatoires sont ceux
qui ne constituent pas l'exécution du délit projeté, mais se rattachent à ce délit, dans l'intention de
l'agent, et qui tendent à son exécution ».
Le détournement des fonds (art.
327 NCP) ne pouvant pas être effectué par la violation des
règles de passation des marchés, cette irrégularité peut-elle tout de même être considérée dans le
processus criminel comme un acte préparatoire, ou un acte d'exécution, pouvant en cas
d'interruption du processus criminel, être considéré comme l'élément matériel de la tentative ?
Deux situations peuvent être envisagées..
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