Peut-on avoir raison à n'importe quel prix ?
Publié le 06/11/2022
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«
Sujet : Peut-on avoir raison à n’importe quel prix ?
La raison (du latin ratio, « calcul », « mesure ») est une faculté
humaine pouvant s’exercer soit dans le domaine théorique de la
connaissance, soit dans le domaine pratique de l’action ou elle prend un
sens moral.
Dans le domaine de la connaissance, la raison est ce qui
permet de raisonner, de réfléchir, d’être « rationnel », logique.
Elle
permet de saisir notamment les lois qui ordonnent le monde réel, sa
rationalité.
Dans le domaine moral, elle nous permet de contrôler nos
actions, d’être « raisonnables » et justes.
On a tendance à valoriser cette
faculté qui se met au service de la vérité et du bien.
Toutefois, la question
se pose aussi de savoir quelles sont ses limites et ses faiblesses.
On a
raison lorsque ce qu’on dit est vrai, ou lorsque ce qu’on fait est juste.
La
vérité a souvent été définie comme l’adéquation de ce qu’on pense et de
ce qui est.
On serait sûr d’avoir raison s’il n’y avait en nous aucun doute à
propos de cette adéquation.
Il importe de bien prendre la mesure de la
question posée : on ne demande pas si l’on peut avoir raison, et quels
sont les moyens dont on dispose pour cela, mais si l’on peut être sûr
d’avoir raison.
La question ne porte pas seulement sur le fait qu’on ait ou
non raison, mais aussi sur ses modalités subjectives : peut-on ou non en
être assuré ? Ce dont on peut d’abord s’étonner, c’est qu’une telle
question soit simplement posée.
Il ne fait aucun doute en effet qu’il nous
arrive d’être sûr d’avoir raison.
Mais il est assez banal d’être comme on
dit, « sûr et certain » à n’importe quel prix du bien-fondé de ce qu’on fait,
ou de ce qu’on dit.
La difficulté qu’on éprouve à détromper ceux qui sont
dans l’erreur l’indique immédiatement.
Si question il y a, c’est donc sous
une certaine hypothèse : que l’assurance d’avoir raison ait été ébranlée,
qu’on la soupçonne de n’être pas aussi bien fondée qu’on croyait.
Qui pose
cette question ? C’est un homme inquiet : y a-t-il une assurance véritable
et durable d’avoir raison, et pas seulement une assurance hâtive, destinée
à disparaître au moindre examen sérieux ? L’inquiétude, ce serait que
l’assurance puisse se dérober, et qu’on s’aperçoive qu’elle est, en réalité,
chose impossible ou illusoire.
Pourquoi serait-on conduit à une telle
situation ? On en prend une première mesure en considérant l’oscillation
suivante : – la vérité est tellement difficile à établir qu’elle semble parfois
échapper : les tribunaux les plus intègres commettent des erreurs, les
savants les plus scrupuleux se trompent.
Nous verrons que
L’assurance pourrait n’être qu’une forme de la crédulité.
On croit
avoir raison, parce qu’on ne raisonne pas assez.
Si l’on raisonnait
davantage, on s’apercevrait qu’il y a toujours quelque raison de douter de
la vérité de ce qu’on avance et non prôner sa vérité.
Non pas parce que ce
qu’on soutient demande à être prouvé (la perspective d’une preuve à
venir pourrait encore nous rassurer).
Mais parce que la preuve effectuée
appelle elle-même une preuve, et ainsi de suite… De sorte qu’on est
renvoyé à l’infini, dans un mouvement qui interdit l’assurance.
On paye
l’entrée en raison par la perte de l’assurance.
« Quoi de plus fiable que le
sens ? » (Lucrèce, De la nature, IV, v.
482).
L’évidence sensible est
incontestable.
Et c’est d’elle que nous vient la notion de la vérité.
Nous
réfutons immédiatement par les sens les opinions erronées, mais surtout
nous apprenons par là ce que réfutation veut dire, et qu’il y a une
distinction possible entre le vrai et le faux, le certain et le douteux.
Il suffit
de sentir que les choses ne sont pas comme on dit qu’elles sont pour
mettre à distance les opinions fausses.
Quoi de plus assuré qu’un
raisonnement bien construit, lorsqu’on a vérifié le contenu des
propositions ? L’invraisemblable peut s’établir par voie de raisonnement,
et emporter la conviction de celui qui n’est pas étranger mais qui le serait
aux règles et aux opérations de la logique.
Il y a là deux sources de
connaissance et aussi d’assurance.
Mais c’est une assurance qu’un
examen pourrait bien emporter : L’assurance que donnent les sens est
dans l’instant ; elle est pour un sujet singulier, elle est très indéterminée.
Cela ne suffit pas pour avoir raison, la vérité requiert la conformité, la
conformation durable de ce qu’on pense et de ce qui est, elle est partagée
par un ensemble d’esprits soucieux du commun accord ; elle est pensée
déterminée et non pas impression vague.
Le raisonnement n’est pas sans
requérir des principes et des règles sur lesquels il prend appui.
L’habitude
les fait passer pour nécessaires.
Mais le sont-ils vraiment ? Ne faudrait-il
pas s’assurer des principes sur lesquels on s’assure ? Le statut des règles
les plus élémentaires fait bien problème.
La certitude se payerait d’un
certain renoncement à la raison.....
»
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