Fiche - lecture analytique : Incendies, Wajdi Mouawad (2003)
Publié le 30/12/2023
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Fiche - lecture analytique : Incendies, Wajdi Mouawad (2003)
Notes introductives : W.
Mouawad = auteur québécois d’origine libanaise.
La pièce
évoque indirectement, sans le nommer, le conflit religieux qui a agité le pays (guerre du
Liban, qui a opposé chrétiens et musulmans - 1975-1990) et les conséquences tragiques
de ces combats fratricides.
Pitch : Deux jumeaux, Jeanne et Simon, partent à la recherche de leurs origines après la
mort de leur mère Nawal.
Un notaire leur remet en effet une double lettre de celle-ci : l’une
est adressée “Au père”, c’est-à-dire à leur géniteur inconnu ; l’autre “Au fils”, un frère
caché dont ils ignoraient même l’existence.
Au terme des remuements troubles de leur
enquête, ils déterrent le terrible secret de leur naissance.
=> Nihad : premier fils de Nawal - chrétienne -, dont elle a été séparée malgré elle (union
mixte, séparée de force du père musulman, l’enfant lui a été retiré) > plus tard, Nihad a été
enlevé très jeune de son orphelinat par les milices musulmanes, et endoctriné.
En
cherchant à le retrouver, Nawal s’approche des zones de conflit, et est faite prisonnière.
Nihad sera son bourreau (il la torturera et la violera), chacun ignorant l’identité de l’autre.
De ces viols naîtront Simon et Jeanne, qui seront à leur tour enlevés à Nawal.
Elle finira
par les retrouver, et s’exiler avec eux au Canada > encore plus tard, Nawal reconnaît
Nihad et comprend tout...
Elle se tait jusqu’à la fin de sa vie, avant d’envoyer ses deux
autres enfants à la recherche de la vérité.
=> extrait = révélation finale, Simon et Jeanne
ont reconstitué le passé et retrouvé Nihad.
Ils remettent les deux lettres à leurs
destinataires respectifs, qui ne sont donc qu’une seule et même personne...
Problématique : Comment est traduite l’ambivalence de ce moment de retrouvailles, et de
cet affrontement avec la réalité pour les personnages ?
I.
La mise en scène de la mère pour faire éclater la vérité
a) La lettre et le dispositif scénique
-> la communication différée de l’écrit : permet la constitution d’une sorte de monologue
ou de tirade sans l’artifice habituel du procédé -> les vérités que Nawal a à faire éclater
sont trop fortes, trop dérangeantes pour que, faites de vive voix, elles ne se heurtent au
refus de Nihad d’en entendre davantage, au risque qu’il lui coupe la parole, etc.
=> la lettre
permet de ne pas laisser d’échappatoire au personnage
-> sur scène : seule la mère parle, les autres personnages sont silencieux = traduit la
primauté de la parole écrite, qui reste et s’impose - idée d’une parole qui s’inscrit dans
l’éternité => cf.
composition des lettres : phrases brèves, qui semblent imposer un silence
à chaque parole prononcée : elles fonctionnent à l’exemple d’un décret de loi, de la suite
des articles d’une constitution...
= écrit officiel édictant une réalité inaliénable.
b) L’égide d’une autorité qui rend le moment solennel
-> 1e lettre : la voix de la mère semble prendre les accents d’un Jugement divin : cf.
ses
injonctions à l’impératif (l.19 “Regardez-les”) et au futur (l.23 “Bientôt vous vous tairez”) =>
Nawal invoque l’humilité du pénitent, qui écoute la vérité et se tait devant elle.
+ son assurance également présente dans la formule au présent de vérité générale, qui
résonne comme une sentence divine (l.25 “Le silence est pour tous devant la vérité”)
-> 2e lettre : la voix de Nawal est tout autre : cf.
l.62-63 “Ne tremble pas / Ne prends pas
froid” ; et l.93 “Sois patient” = injonctions liées à l’inquiétude d’une mère ou à sa
bienveillance apaisant l’impulsivité de l’enfant
+ la fin de la lettre rappelle ce lien d’autorité naturelle, et le renforce en évoquant le père et
ses “dernières paroles” (l.97 = dernières volontés, dimension sacrée), à l’origine de l’autre
formule au présent de vérité générale, qui fonctionne comme un écho, en parallélisme
avec la première : l.96 “Rien n’est plus beau que d’être ensemble” (dans les deux cas, on
note également la dimension impersonnelle et absolue de la phrase : “pour tous” VS.
“Rien”)
II.
Deux situations d’énonciation radicalement différentes
a) Deux tons distincts
-> 1e lettre = vouvoiement : distance de la victime par rapport à son bourreau, mépris
VS.
2e lettre = tutoiement : proximité de la mère pour son enfant
-> 1e lettre écrite “en tremblant” (l.1) => traduit l’émotion à fleur de peau de celle qui écrit
VS.
2e lettre : “Ne tremble pas” (l.62) => dimension protectrice et sereine du parent qui
rassure l’enfant
-> 1e lettre : en dépit de l’émotion qui en sourd, la formulation est froide et informative :
- cf.
l.9, le présentatif “voilà” + négation restrictive (“Elle n’est là que...”) exposent la
situation sans ambages
- cynisme de la question (l.13) “Leur chanterez-vous une chanson ?” => réf.
au surnom
qu’on donnait à Nawal en prison : “la femme qui chante”, et qui inverse le rapport de
domination des deux personnages - Nihad est pris au piège de la vérité, il en est
prisonnier...
+ allusion au rôle du parent = chanter des chansons aux enfants pour les
endormir
VS.
2e lettre : lyrisme - cf.
anaphores de “Je t’ai cherché” (l.30, 32, 33, 39, 45, 46), puis de
“qu’y a-t-il...” (l.48 et 50), de “Je te racontais...” (l.68, 69, 70), etc.
qui donnent au message
des airs de poème ou de chanson, et qui traduit l’exaltation de Nawal, sa joie de retrouver
son enfant.
=> voir aussi la métaphore....
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