Hors-champ et histoire de l’art. Analyse du film : « The Mill and the Cross » (2011)
Publié le 05/04/2024
Extrait du document
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Séminaire transdisciplinaire.
Hors-champ et histoire de l’art.
Analyse du lm :
« The Mill and the Cross » (2011)
Master en cultures et pensées cinématographiques.
Année académique 2021-2022.
Professeure : Natacha Pfei er.
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Travail réalisé par Astrid Flamion.
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Table des matières.
1.
Quelques mots d’introduction.
2.
Considérations générales.
2.1.Tableau : Breughel l’Ancien, Le portement de croix (1564).
2.2.
Film : Lech Majewski, The mill and the cross (2011.)
3.
L’appréhension du hors-champ - déclinaison sous
trois formes (article Florence Gravas).
3.1.
« Hors-champ irréel » sans e et sur le champ.
3.2.
Hors-champ anticipé selon un « travail d’organisation des
perceptions spatiales ».
3.3.
Hors-champ « de l’ordre du sentir ».
4.
Le cadre pictural à l’épreuve du cinéma
4.1.
Le cadre-objet au cinéma.
4.2.
L’espace « cinématico-pictural » en tant qu’espace de création
- cadre-limite.
4.3.
Le cadre-fenêtre comme « ouverture sur la vue et
l’imaginaire ».
ff
5.
Quelques mots de conclusion.
3
6.
Bibliographie.
1.
Quelques mots d’introduction.
Dans notre parcours sur le hors-champ, nous voici arrivés à un carrefour important, à un
moment-clé de notre réflexion : la rencontre entre cinéma et peinture.
Rencontre heureuse,
improbable, inévitable, étonnante, inutile, ratée, explosive ? Les qualificatifs ne manquent pas à ce
sujet et la critique est souvent rude quand on pense notamment au Van Gogh de Resnais (1948) qui
fit couler beaucoup d’encre, l’oeuvre cinématographique qualifiée de « triple opération (contre
nature) de diégétisation, de narration, de psychologisation, ….
cinématisation destructrice de
spécificité qui ne pouvait que heurter 1».
Toute la problématique repose évidemment sur la notion
de cadre et la difficulté de (ré)concilier deux cadres apparemment à l’allure bien différente.
A cet égard, je vous proposerai de travailler sur un film tout à fait original, « The Mill and
the Cross » (2015), en ce sens qu’il présente cette particularité de faire alterner image
cinématographique et image picturale.
En effet, tout au long de ce film, le réalisateur Lech
Majewski invite le spectateur à passer d’un pôle à l’autre, à comparer peinture et cinéma, à
appréhender différents types de hors-champ en fonction des images proposées.
Nous soumettrons ensuite à l’épreuve du cinéma les notions de cadre-objet, de cadre-limite
et de cadre-fenêtre afin d’évaluer dans quelle mesure le septième art est capable de se les
« approprier.
»
Ce travail permettra enfin de nourrir la réflexion sur les catégories - ô combien
controversées - de cadre pictural vs cache, centripète vs centrifuge.
1 Aumont
Jacques, L’oeil interminable, Les Essais, Ed.
La Différence, Paris, 2007, p.120-121.
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2.
Considérations générales.
2.1.Tableau : Breughel l’Ancien, Le portement de croix (1564).
Pieter Breughel l’Ancien est né dans le Brabant en 1525.
Il fut apprenti à Anvers, voyagea
en Italie, travailla à Rome, séjourna à Amsterdam et finit par s’établir à Bruxelles où il s’éteignit en
1569.
Cet artiste, admirateur d’illustres noms de l’Antiquité tels que Virgile, Ovide, Lucrèce,
Epicure ou bien encore Héraclite, laissa à la postérité une peinture à la fois sociale et érudite, mêlant
avec génie scènes paysannes et épisodes bibliques.
L’oeuvre qui nous intéresse dans le cadre de cette réflexion sur le hors-champ porte le titre :
« Le portement de Croix ».
C’est une huile sur toile datant de 1564, conservée au fameux
Kunsthistorisches Museum à Vienne, siégeant aux côtés d’autres chefs-d’oeuvre du maître.
Ses
dimensions (124 cm/170 cm) sont impressionnantes, ce qui en fait un tableau très singulier.
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L’image picturale met en scène plus qu’un sujet biblique, la passion du Christ s’inscrivant
dans le contexte historique de la Réforme et de la condamnation des hérétiques par le régime
espagnol dont les Pays-Bas eurent à subir l’épreuve.
L’image présente une double lecture.
C’est dans un vaste paysage qu’évolue une multitude de personnages, paysans, bergers,
enfants, journaliers, soldats en tuniques rouges.
Le spectateur perçoit un mouvement de la vie vers
la mort, l’oeil chemine de gauche à droite, de la lumière à l’orage, de l’arbre de vie à celui de la
mort, dépouillé et surmonté de la roue réservée aux suppliciés.
La procession se dirige vers le
Golgotha, lieu d’exécution formant un cercle.
Au centre de ce « voyage » vers la mort, le Christ, vêtu de gris, tombe mais n’en reste pas
moins presque invisible.
Les deux larrons ont pris place dans un chariot qui les conduit dans la zone
noire.
Le παθος est encore accentué par la présence en avant-plan de la Vierge éplorée, soutenue par
Jean et entourée de deux suppliantes.
On ressent toute la tristesse de cette Mater dolorosa.
La
déploration de Marie y est ici anticipée.
En arrière-plan, un piton rocheux s’offre à notre regard et ce moulin perché en son sommet a
des raisons d’intriguer.
C’est qu’il est une métaphore du κοσµος tournant jour et nuit au-dessus de
nos têtes.
Ce tableau est hautement symbolique et le meunier, observant la terre depuis les nuages,
n’est autre que la figure de Dieu représenté ainsi dans la tradition picturale antérieure.
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2.2.
Film : Lech Majewski, « The Mill and the Cross» (2011).
Né en Pologne en 1953, Lech Majewski est plus qu’un cinéaste, c’est un véritable
(re)créateur embrassant maints domaines artistiques : il est photographe, poète, écrivain, metteur en
scène, artiste plasticien.
Dans « The Mill and the Cross », il endosse entre autres les rôles de coscénariste2, réalisateur, producteur, photographe et compositeur.
Fortement influencé par la peinture et considérant le cinéma comme un prolongement de
l’art pictural, il raconte, dans une interview3 , la genèse de son admiration pour Breughel dans une
anecdote qu’il me plaît de rapporter.
Lorsqu’il allait passer ses vacances à Venise, le train s’arrêtait
à Vienne, lui laissant une journée libre avant de repartir le lendemain.
Il se rendait alors au Musée
d’Art, et précisément à la salle 10 qui accueillait les plus grands tableaux de Breughel : « Je pouvais
y passer une journée entière, j’apprenais le langage visuel, cet incroyable voyage dans le Portement
de Croix ».
Le produit réfléchi et fini que nous propose Lech Majewski est littéralement un tableau
vivant : le spectateur est invité à alterner entre image picturale reproduite au plus près du tableau et
image pleinement cinématographique.
Celui-ci assiste à une transposition cinématographique de
tout ce petit monde en vie, de ces différentes scènes de la vie quotidienne présentes dans le tableau.
On est amenés à entrer dans le tableau et à suivre la journée complète d’une douzaine de
personnages.
De la maison de Breughel agitée par des cris enfantins au jeune homme se rendant
avec sa compagne au marché et frappé par la violence des troupes espagnoles, de la maison de
Marie à la demeure du banquier Nicholas Jonghenlinck, du lever du meunier aux coups de fouets
infligés au Christ, le réalisateur renouvelle la façon de parler de peinture au cinéma.
Au milieu de
ces personnages, viennent prendre place Breughel lui-même et son ami qui parcourent le tableau
figuré comme l’espace de création du peintre.
Cette reconstitution étonnante et fidèle est rendue possible grâce au concours de moyens
technologiques numériques modernes.
Citons sans être exhaustifs les différentes prises de vues :
d’abord en studio, où les comédiens sont filmés sur fond bleu et intégrés à divers arrière-plans,
ensuite les plans in situ tournés dans des paysages semblables à ceux de Breughel, à savoir en
Pologne, République Tchèque, Autriche et Nouvelle Zélande.
Ajoutons le décor en 2 D reproduit
Il a collaboré avec Michael Francis Gibson, écrivain belgo-américain, historien d’art, critique et
universitaire , auteur d’une analyse du tableau de Breughel « The Mill and the Cross ».
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cf interview donné par Lech Majewski dans le supplément du DVD.
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selon le travail du peintre et peint sur toile par le réalisateur en personne ainsi que le travail en postproduction où tout cet ensemble fut fondu dans une recherche d’authenticité et d’esthétisme.
3.
L’appréhension du hors-champ - déclinaison sous
trois formes
Concernant la question qui nous préoccupe dans ce séminaire, à savoir le type de horschamp mis en oeuvre dans ce film, je fonderai ma réflexion à partir de l’analyse pertinente de
Florence Gravas dont l’article4 m’a permis d’être éclairée sur trois formes de hors-champ.
Ce qui frappe l’auteure dès les premiers plans et qui a pour conséquence pour le spectateur
de percevoir le hors-champ différemment, est cette « bascule proprement sidérante entre un univers
parfaitement repérable comme analogon et face auquel la conscience ne peut qu’ irréaliser ce
qu’elle constitue - les deux premiers plans s’offrant comme un tableau - et un univers beaucoup
plus ambigu parce que constitué comme un champ contre-champ pleinement cinématographique5 ».
J’apprécie le terme choisi « bascule », il est vrai que le réalisateur parvient à établir une rencontre
très intéressante entre image cinématographique et image picturale, à jouer constamment des deux
dans un heureux équilibre de balancier.
3.1.
Hors-champ irréel sans effet sur le champ
Le long et lent travelling du premier plan parcourant l’espace pictural nous fait découvrir la
reproduction fidèle du tableau.
Les modèles du premier plan, cadrés en plan moyen revêtent des
Florence Gravas,....
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